Rencontre en ligne du 25/10/2023 avec Emilie Frèche pour son roman "Les amants du Lutetia" (un endroit où aller, interview de Nathalie Couderc et Frédérique Deghelt)
Combien de gens sur cette terre sont des accidents ? Combien de gens n’ont pas été voulus, désirés, attendus ? Léo, lui, a été tout cela, il est le fruit de notre amour infini, joyeux, léger, il n’aura donc pas, comme nous tous, à se taper une analyse deux fois par semaine à l’âge adulte pour rester debout, et crois-moi, c’est le plus beau cadeau que nous lui ayons fait. Il fera de belles économies.
En dépit des larmes et du sang si souvent versés il est bien une chose dont les hommes ne pourront jamais se passer, c’est aimer, et être aimé.
Nos descendants sont notre seule mémoire. Nos descendants sont la vie et la vie seule peut se souvenir. Nos enfants ne nous enterrent pas. Ils nous prolongent.
Ce que la vieillesse fait à un corps humain, seul son spectacle peut le révéler. C’est le tableau d’une entreprise de démolition massive, un anéantissement de tout ce que nous avons été, esprit et corps, corps et esprit, et de tout ce que nous avons patiemment construit au fil des ans. C’est une tour que quelqu’un vient de faire péter à la dynamite et que nous regardons, impuissants, s’affaisser sur elle-même.
Je vais t’expliquer une petite chose, mon chaton, quand on est avec sa mamie, on oublie tout ce qu’on a appris avec sa maman. Se laver les dents, se coucher tôt, manger la bouche fermée, tout ça, c’est terminé ! Quand on est avec sa mamie, on fait n’importe quoi, parce que, sinon, ça ne sert absolument à rien d’avoir une mamie, tu saisis ?
L’enfance est comme le ressac, toute la vie, elle vous revient, parfois avec douceur en vous caressant l’âme, mais parfois pourvue d’une violence qui vous démolit si vous allez contre. Il faut donc lâcher prise. Accepter d’être malmené pour avoir une petite chance, une fois la tempête passée, de se retrouver sain et sauf sur le rivage.
Deux êtres se suicident en se racontant qu’ils commettent un acte qui n’engage qu’eux, mais en réalité, c’est votre santé mentale qui fout le camp, votre vie entière qui bascule.
Plus personne n’est ignorant, aujourd’hui, vous pétez à Londres et, dans la seconde, ça pue à Kinshasa, c’est ça le miracle d’Internet.
Les êtres humains pouvaient faire un petit bout de chemin ensemble, s’aimer, s’unir puis se quitter, les places boursières pouvaient toujours s’écrouler, les monnaies s’effondrer, l’astre rouge n’arrêterait pas sa descente. Il venait un moment où il finissait par se fondre dans la ligne d’horizon et la nuit, par tout ensevelir.
Ezra et Maud avaient-ils eu la curiosité de visiter cette Cour de justice, les fois où ils étaient venus à Kirchberg rencontrer leur conseiller financier ? Avaient-ils seulement réalisé, en passant en taxi devant ces tours, qu’elles avaient été érigées pour que d’autres ne subissent pas ce qu’eux-mêmes avaient vécu dans leur chair ? Et sur le chemin du retour, dans le train qui les ramenait en France, que pensaient-ils au fond d’eux-mêmes ? N’avaient-ils jamais éprouvé l’absurdité qu’il y avait à s’en être sortis pour soixante-dix ans plus tard, contourner une redistribution des richesses qui aurait dû atténuer les inégalités et, par là même, empêcher la formation d’un terreau fertile à toutes les haines ? Qui permettait cela ? Qui laissait germer, au cœur même du pouvoir européen, un paradis fiscal qui engendrerait un autre enfer ? Car il ne fallait pas se leurrer, l’argent qui dormait ici – six mille cinq cents milliards de dollars –, c’était autant d’écoles, d’hôpitaux, de prisons, de crèches, d’universités, de collèges et de centres éducatifs en moins. Il n’y avait donc jamais aucune leçon à tirer de rien ?