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Chaque plan de ce film tourné en seize jours révèle un instinct organique du langage cinématographique. La pureté plastique (le rouge de la voiture, le bleu du ciel, les ocres du paysage) alliée à la sensation constante d'avancée et de vitesse contribuent à la limpidité rutilante de la mise en scène. Mais cette perfection rectiligne est sous-tendue de pulsions sauvages et absurdes qui hissent Duel au delà du brillant exercice de style. C'est, paradoxalement, plus du côté de l'identité du héros, cet homme ordinaire (son nom est Mann) pris en chasse arbitrairement, que de celle du poursuivant, jusqu'au bout irrésolue, qu'il faut en chercher la clé. On comprend, lorsqu'il téléphone à son épouse d'une station-service au début du film, qu'ils se sont quittés le matin même sur une dispute. Dès lors, le type qu'il écoutait juste avant à la radio se plaindre de sa mégère de femme n'était sans doute rien d'autre que son propre monologue intérieur. la longue étape du diner de bord de route, dans lequel Mann dévisage fiévreusement chaque cow-boy accoudé au bar, imaginant qu'il s'agit peut-être de son harceleur, flirte avec le délire paranoïaque. Et les enfants du car scolaire, qui lui font des grimaces par la vitre arrière, lui apparaissent comme de petits gnomes turbulents.
L'aventure entière de Duel peut donc se relire comme la construction mentale d'un névrosé, victime frustrée de l'American way of life (maison, femme, enfants), un signe de sa folie larvée.
Fulgurantes promesses (ici, à propos du téléfilm Duel)
Interminables journées d'attente au cours desquelles Spielberg ne tourne parfois que quelques secondes utiles. Bientôt rebaptisé Flaws (Défauts) par l'équipe, Jaws (le titre original des Dents de la mer) verra son plan de travail et son budget (à l'origine modeste) multipliés par trois. Spielberg décide, contraint par les circonstances, de renforcer les effets de suggestion, et c'est évidemment ce qui finit par faire la force et la réussite du film.
Car Les dents de la mer est un modèle de précision efficace, un jeu pervers avec les phobies universelles: ce qui est tapi sous l'eau, bien sûr, mais aussi ce à quoi l'on s'expose à assumer trop pleinement sa sexualité. La première victime, appétissante baigneuse nue au clair de lune, expérimente chèrement le puritanisme américain dévorant. Une thématique devenue, depuis, le sous-texte larvé du film d'horreur.
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Ce qui frappe quand on revoit "Les dents de la mer" aujourd'hui ,c'est à quel point ce film qui a inventé le "blockbuster ne ressemble en rien àune super production mais plutôt à une série B remarquablement ficelée.