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Mathilde de la librairie Dialogues nous propose ses coups de c?ur spécial lycéens : Run Billie de Claire Loup (Scripto), Dans le désordre de Marion Brunet (Sarbacane) et Big easy de Ruta Sepetys (Gallimard jeunesse).
Réalisation : Ronan Loup.
Questions posées par : Marion le Goascoz.
Allez hop, c’est reparti, je me reprend la tête à penser à elle encore et encore au lieu de profiter d’être là, à la cool, dans un bar avec une pure musique et mes potes qui vont pas tarder à me rejoindre.
Des filles, y en a partout et moi je bloque sur elle !
Ouais, ouais, ouais…
Si Léon était là, il me dirait en me mettant une bonne tape dans le dos : « T’es amoureux, mon p’tit. »
Et merde.
- On n’est pas obligé de se parler, tu sais.
Je relève la tête et la dévisage.
- Pardon ?
Elle me répond avec une nonchalance à la limite de l’insolence, comme dirait Boise :
- Non mais je dis ça parce que je te vois te prendre la tête pour trouver un mot à me dire… Je suis touchée par tes efforts mais je t’en dispense.
Cette conne réussit presque à me faire rougir. Il faut dire qu’elle m’a pris par surprise : je ne m’attendais pas à ça. Je me retrouve à bafouiller comme un gamin :
- Ah… Non, non… Euh… Je ne me force pas.
Elle ne me regarde déjà plus et s’est plongée dans la lecture d’un roman. Elle commence à m’agacer, celle-là… Changement de ton. Je retrouve mon aplomb devant cette pimbêche :
- Mais alors moi par contre j’ai clairement l’air de te faire chier.
C'est assez fou de réaliser qu'une personne qu'on a jamais vu et qu'on ne connait pas tient une place aussi importante dans sa vie.
Qui, sur terre, peut rompre de cette façon ? Envoyer une carte de rupture à sa petite amie pendant les vacances… La veille de son anniversaire… Une carte postale avec des dauphins… ?
A la rigueur, si j’avais eu treize ans, j’aurais pu, peut-être, sait-on jamais, lui envoyer une carte avec des dauphins. Ou des chatons dans un panier.
Et puis le pire du pire : quel mec peut envoyer une carte postale avec un cœur pour une rupture ? Ça s’appelle de la publicité mensongère, ça. « Regardez, mesdames, messieurs, un joli gros cœur rouge, des dauphins joyeux, la mer et les vacances : c’est l’amour, la joie, le bonheur ! Joyeuse rupture ! »
Et puis les enfants on ne les fait pas pour les garder près de soi mais pour les pousser vers leur vie à eux. L’indépendance p'tit.
- On peut quitter quelqu’un à cet âge-là, quand le plus gros est derrière soi ?!
- Je te remercie pour ta délicatesse, Benjamin.
- Hum… Pardon… Mais bon… Vous voyez ce que je veux dire… Quitter son mari à cinquante-sept ans, c’est bizarre non ? J’imaginais comme tout le monde qu’à partir d’un certain âge on ne se quitte plus. On est ensemble et puis c’est comme ça. Le plus dur est sans doute passé…
- Tu sais mon petit Benjamin, vous les jeunes n’avez pas le monopole de la vie et de l’amour ! A tout âge on avance. Jusqu’au bout.
- J’ai pas dit le contraire, hein… Mais… Enfin… Vous vous imaginez retrouver quelqu’un ?
- Et pourquoi pas ? Ma femme, enfin mon ex-femme, a bien refait sa vie il y a un an ! Elle ! Une emmerdeuse pareille ! Ca me donne de l’espoir, ha, ha !
Je garde le silence en finissant mon plat. Si toute cette merde continue même quand on est vieux, y a de quoi désespérer…
Les jeunes ont eu l’occasion de développer une résistance à la punition du samedi soir, comme les poux à l’antipoux.
La première fête sans les parents, c'est un peu l'occasion de multiplier les premières fois : première cuite, premier joint, première minijupe, premier flirt, voire, Première Fois-Première Fois. Certes, on n'est pas obligées de prendre le paquetage complet, mais disons que c'est une possibilité.
C'était une carte de rupture : pas bingo. Qui , sur terre , peut rompre de cette façon? Envoyer une carte postale de rupture à sa petite amie pendant les vacances... la veille de son anniversaire... une carte postale avec des dauphins... ?
La pièce est exiguë mais plutôt lumineuse. Quand on y entre, on y trouve : à gauche, une armoire en métal couleur crème ; à droite, rien ; face à la porte, une fenêtre ; devant la fenêtre, un petit bureau encombré de paperasse.
De part et d’autre du bureau, l’inspecteur Luka Prajnic et Pascal Santoni, se font face. Le premier, petite cinquantaine et grande calvitie, porte une chemise de flanelle grise à manches courtes, un pantalon beige et des mocassins marron ; Pascal Santoni, quant à lui, est vêtu avec classe et décontraction : polo bleu marine, jean droit et chaussures Clarks.
Pendant quelques minutes, l’inspecteur Prajnic fouille parmi le tas de feuilles sur son bureau, en soulève un paquet, puis un autre, met la main sur ses lunettes, les pose sur son nez, continue de chercher tout autour de lui, trouve puis ouvre un carnet noir, s’empare d’un vieux crayon à papier, griffonne quelques notes sur la première page ; enfin, il entame rapidement et à haute voix la lecture d’une feuille blanche posée devant lui :
– Vous êtes Pascal Santoni, quarante-deux ans, marié, deux enfants ; vous vivez à Paris, dans le Ve arrondissement et vous êtes le manager du groupe Run Billie depuis un an. Exact ?
– Oui, c’est exact.
Luka Prajnic note avec étonnement le calme apparent, le sourire poli et l’assurance virile du producteur. Pas la moindre trace de stress, de panique, d’embarras, de quoi que ce soit que puisse faire surgir en temps normal la disparition d’un proche.
– Mme Fortin, la mère de la chanteuse Adèle Polgakov, nous a signalé la disparition de sa fille à la suite de son absence, très commentée par les médias, lors du premier concert de Run Billie au Bataclan de Paris, vendredi soir dernier, il y a trois jours. Cette première date devait inaugurer la tournée internationale du groupe prévue au cours des prochains mois, mais jusqu’à aujourd’hui personne n’est en mesure de dire où se trouve Adèle Polgakov. Exact ?
– C’est exact, répète Pascal Santoni. Mais si vous permettez, je préfère parler de Billie plutôt que d’Adèle Polgakov.
Luka Prajnic jette un regard étonné à son interlocuteur.
– Rassurez-moi, nous parlons bien de la même personne ?
– Tout à fait, c’est simplement que j’ai toujours appelé Adèle par son pseudonyme d’artiste, Billie.
– Alors parlons de Billie.