Dans son allocution du lundi 17 avril, Emmanuel Macron reconnaissait une crise des services publics, qui ne donneraient plus, selon lui, satisfaction aux Français. Notre modèle historique du service public est-il menacé ? Comment le transformer tout en préservant le lien avec les territoires ?
Pour analyser la situation, Guillaume Erner reçoit :
Christian Authier, journaliste et romancier.
Julie Gervais, maîtresse de conférence en science politique à l'Université Paris I Panthéon-Sorbonne.
#servicepublic #france #politique
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Nous ne pourrons pas vivre longtemps dans un cauchemar technologique et climatisé à moins d'oublier ce que nous sommes : des êtres doués de parole et de raison, des « animaux sociaux », pas seulement des numéros, des QR codes, des consommateurs et des clients dont l'existence serait guidée par des algorithmes.
Dans Postman, film réalisé et interprété par Kevin Costner, sorti en 1997, les États-Unis sont devenus après une guerre nucléaire une sorte de no mans land où survivent quelques communautés terrorisées et rackettées par une milice paramilitaire. Le héros, un voyageur solitaire accompagné d'un mulet, endosse un jour l'uniforme et récupère la besace d'un facteur dont il a découvert le cadavre. Il retrouve aussi des lettres, vieilles de quinze ans, et décide de les distribuer. «Je suis le facteur», dit-il à ceux qu'il croise en leur déclarant que le service postal commence à être rétabli dans le pays. Les populations voient en lui le retour de l'État et de la civilisation. On lui confie des courriers, des jeunes gens et d'autres moins jeunes le rejoignent pour constituer un réseau de facteurs à cheval. Un bureau de poste datant de 1884 est rouvert, un centre de tri est créé, les lettres affluent à nouveau. Ce facteur improvise et rebelle, porteur de rêves et d'espérance, va se dresser contre le chef de la milice. Il est frappant que ce film, adapté d'un roman de David Brin, ait imaginé que le facteur puisse être, dans un univers postapocalyptique, le symbole et l'incarnarion de la civilisation retrouvée.
Par-delà les frontières et les continents, il faut croire que La Poste demeure un repère et un repaire.
La ruse ou le génie du capitalisme, selon le point de vue, consiste à faire basculer dans le domaine marchand des choses qui ont toujours été gratuites. Et il fait preuve d'une imagination sans limites pour transformer ce qui relevait du don et du désintéressement en espèces sonnantes et trébuchantes. Ainsi, qui aurait imaginé dans un passé récent que la pratique de l'auto-stop deviendrait payante via le covoiturage initié par des plateformes numériques ?
Le même visage d'une humanité affolée et palpitante qui continue de danser au bord du chaos imprégnait chaque page du roman Le Journal de Bernard Maris, œuvre noire et désespérée qui conseillait malgré tout, entre ses illusions perdues et ses deuils inconsolables, de ne pas guérir « de cette fièvre, la vie ».
Né en 1946 à Toulouse, Bernard Maris accéda à une tragique notoriété mondiale en étant le 7 janvier 2015 l'une des victimes de l'attentat perpétré contre la rédaction de Charlie Hebdo. Lui qui fit ses études et qui enseigna jusqu'au milieu des années 1990 l'économie à Toulouse, ville dans laquelle il revenait régulièrement pour retrouver ses enfants, une part de sa famille et ses amis, a un autre point commun avec Bartolomé Bennassar. Il fut également un romancier « clandestin », occulté par les travaux de l'universitaire devenu l'un des économistes les plus médiatiques de France.
Auteur d’essais tranchants, chroniqueur à France Inter, journaliste à Charlie Hebdo où il décryptait les enjeux de l'économie et de la finance sous la signature d’« Oncle Bernard », cet esprit peu orthodoxe ne cessa de se faire l'analyste critique d'un capitalisme ayant vaincu presque toutes les digues. Agrégé d'économie, il refusait néanmoins de voir en sa matière une science, la décrivait telle une « incroyable charlatanerie idéologique qui fut aussi la morale d'un temps », considérait plutôt les forces du marché et de la finance comme soumises à l'irrationnel, à la psychologie collective, à des phénomènes de suivisme et de mimétisme.
Dans une analyse portant sur les élections européennes de 2014, l'Ifop avait constaté que dans les communes de moins de 1000 habitants, le vote FN variait en moyenne de 3,4 points en fonction de la présence ou de l'absence d'un bureau de poste, la fermeture du bureau accentuant évidemment le vote dit populiste.
Pour ceux de nos responsables politiques qui ne cessent depuis des décennies de faire de « la lutte contre l'extrême droite » l’une de leurs priorites affichées, voilà qui devrait constituer une piste de réflexion et d'action. En résumant et en simplifiant : plus de facteurs, c'est moins d'électeurs RN. L’équation fonctionne aussi avec les écoles, les crèches, les hôpitaux, les lignes ferroviaires, les gares, toutes ces structures indispensables devenues des variables d'ajustement au gré des coupes dans le budget de l'État.
Curieuse politique menée par les partis de gouvernement, supposés raisonnables et responsables, qui nourrit et aggrave les votes contestataires radicaux qu'ils disent vouloir résorber. Mais on sait depuis au moins Pascal que certains hommes chérissent les causes dont ils déplorcnt les effets.
En 2018, le tribunal de grande instance de Dieppe, saisi lui aussi par un CHSCT et un cabinet d'expertise pour contester une réorganisation supprimant sept tournées sur une cinquantaine, découvrit un étonnant document fourni par La Poste. L’outil de mesure du temps et des distances faisait traverser des murs d'immeuble aux facteurs sur une tournée de la commune de Neuville-Iès-Dieppe. On pouvait voir là un hommage à la célèbre nouvelle Le Passe-muraille de Marcel Aymé, mais les magiciens de La Poste produisirent également un document traçant un trajet passant au-dessus d'un des bassins du port de Dieppe, sans qu'il existe de pont à cet endroit-là. Après le facteur passe-murailles, le facteur volant. D'autres éléments farfelus et inutiles furent présentés en masse, ce qui n’empêcha pas La Poste d'être condamnée le 23 janvier 2019 à remettre des documents précis permettant d'évaluer son projet sous peine d'une astreinte de 2 000 euros par jour de retard. Après la confirmation de la condamnation par la cour d'appel de Rouen en octobre 2019, La Poste fournit de nouveaux documents au cabinet d'expertise, mais ce n’étaient toujours pas les bons. Le TGI de Dieppe condamna donc le 7 février 2020 l’opérateur postal à verser 60000 euros au cabinet d'expertise au titre des liquidations d'astreintes précédentes et ordonna une nouvelle astreinte de 2000 euros par jour de retard. Finalement, le 14 février 2020, La Poste annonça l'abandon de son projet de réorganisation.
En 2030, un siècle après la loi Sapey qui avait créé le service rural postal, y aura-t-il encore des bureaux de poste et des facteurs dans l'Hexagone ?
L’acquisition d'Happytal a été l’occasion pour La Poste d'une campagne de communication, notamment dans la presse écrite via de longs publireportages vantant l’action des facteurs au service « du bien-vieillir » ou la volonté de l'entreprise de «fluidifier le parcours des patients ». Un « bien-vieillir » déjà pris en charge par la filiale Age d’0r Services. Pour justifier cette diversification, la communication officielle du groupe mérite que l'on s'y arrête ; je l'ai découverte pour ma part dans l’un de mes hebdomadaires de prédilection sur plusieurs pages.
« En conséquence de la pénurie de soignants, les fermetures de lits se multiplient en France. Plus que jamais, les personnels de santé doivent conjuguer rapidité et rigueur dans la transmission des informations sur les patients. Dans ce contexte tendu, la coordination des différentes étapes du parcours de soins est la clé de l'efficacité — et donc du bien-être du malade — mais aussi celle de la maîtrise des dépenses de santé », peut-on lire.
Résumons : l'hôpital public est en déliquescence et au bord de l'explosion - comme le rappela cruellement la crise du Covid -, lui aussi victime d'une course à la rentabilité et de réformes successives déstabillsantes, mais La Poste — qui s'y connaît en fermeture, en l'occurrence de bureaux se porte volontaire pour remédier à ses défaillances. On peut craindre le pire.
Missionné par le ministre de l'Économie et des Finances Bruno Le Maire, l'ancien député Jean Launay a remis en mai 2021 au gouvernement un rapport sur « Les mutations du service universel postal ». Ce document, rédigé dans un sabir technocratique et abscons, où l'adjecrif « acerbe » est utilisé plusieurs fois à la place d’« exacerbé », dresse aussi le portrait du facteur d'aujourd'hui et de demain en suscitant un mélange de rire et d’effroi.
Voici donc le « facteur augmenté » qui incarne « la puissance combinée des réseaux physiques et numériques » Le facteur augmenté, porteur de proximité, embarque avec lui la santé comme sujet stratégique ; il est aussi porteur de l’inclusion numérique ; il emporte l'adhésion politique sur l’avenir de l’entreprise comme tiers de confiance des services en territoire. Le service à la personne et l’inclusion numérique pourraient être intégrés dans le périmètre des missions de service public confiées à La Poste, ouvrant ainsi la voie à « l’hypothèse d'une cinquième mission », écrit notre Elon Musk du pauvre, qui voit dans ce facteur du XXIe siècle, « collecteur de données », la réponse à l’« illectronisme et au mal-être numérique ». « Le facteur "augmenté" peut aussi être appelé « postier aidant-connect sur pattes . », nous apprend encore ce bon monsieur Launay droit sur ses pattes.
Nous voilà bien. Dans quel pays vivons nous ? Jacques Tati, réveille-toi, ils sont devenus fous...
L’écrivain toulousain le plus illustre est paradoxalement plutôt oublié. Certes, la grande médiathèque de la ville porte son nom, mais José Cabanis (1922 -2000) demeure un auteur pour happy few. Lauréat du prix Renaudot en 1966 avec La Bataille de Toulouse, élu à l’Académie française en 1990, membre du jury du Renaudot, il était à la fois un notable des lettres françaises et un écrivain ne quittant guère sa maison de Nollet où il donna naissance à une œuvre faite de nombreuses biographies, d’essais littéraires, de journaux intimes et de romans. En 1952, L'Àge ingrat inaugura un premier cycle romanesque comprenant cinq titres et auquel succéda un second cycle, composé encore de cinq romans. Dans ces petites « comédies humaines », on retrouve et on suit les mêmes personnages. Plus de vingt-cinq ans après Des jardins en Espagne, Le Crime de Torcy, publié en 1990, signa une sorte d'épilogue à ce second cycle.
En revanche, que serait la littérature sans les correspondances d'écrivains ? Comme le Journal intime, la correspondance est un genre à entière. Combien de chefs-d'œuvre, de classiques ? De Flaubert à Proust en passant par Madame de Sévigné, ces volumes ne suscitent pas seulement l’intérêt des spécialistes et des historiens. Et Céline, Gide, Breton, Cendrars, Debord... Et les innombrables volumes de Jean Paulhan avec Valéry Larbaud, Georges Perros ou Drieu la Rochelle. Impossible de faire l'impasse sur les correspondances amoureuses : Hugo et Juliette Drouet, Sand et Musset, Anaïs Nin et Henry Miller, Albert Camus et Maria Casarès, les Lettres à Lou d'Apollinaire et celles à Lou Andreas-Salomé de Rilke, les Lettres à Nelson Algren de Simone de Beauvoir... Je n’oublie pas Kafka avec sa Lettre au père et ses Lettres à Milena, ou Rilke encore avec ses Lettres à un jeune poète.