Conception de la couverture illustrant le Roman de Carine Roucan intitulé: Jeanne.
Couverture réalisée par Jimmy Rogon
Nous sommes attablés, tous les six, les quatre enfants, mon mari et moi. Comme chaque soir, nous nous montrons bruyants, les repas sont toujours qualifiés de vivants chez nous par les amis de passage, qui adorent s’asseoir à notre table, non pas pour la saveur des mets, je n’ai jamais dépassé la médiocrité culinaire des légumes surgelés assortis d’une sauce de bocal, mais pour écouter la bonne et la mauvaise humeur de nos dîners, petits concentrés de vie et d’amour. Mademoiselle Toute-Petite tente de faire sa place en bégayant quelques phrases qui se terminent dans un cri aigu, le Damoiseau-Pirate, à peine plus vieux, tape sa fourchette sur la table afin que l’attention se porte sur lui, les Jumeaux-Jumelles pré-ados laissent les petits en placer une, mais pas trop longtemps, ils ont une journée merveilleuse ou horrible à nous faire partager. Monsieur mon mari, étonné chaque jour d’avoir engendré cette fratrie si soudée, ne peut rétablir l’ordre. Touché au quotidien par la famille que nous avons su construire, il se laisse étourdir par le bonheur que connaissent nos enfants, et dont nous avons été privés pendant de si longues années, aujourd’hui loin derrière nous. Et moi, au milieu de ces cris et ces rires, je tente de faire manger tout le monde, correctement et proprement. Et je parle aussi, et je ris, je ris !
Tout cela est inexact : cette tablée fantastique n’existe plus.
Voilà près d’un mois que Madame Debruine voit du sang couler des yeux des passants qu’elle croise dans la rue, du boulanger qui la sert tous les matins, de ses collègues de travail, et des autres bénévoles de l’association où elle œuvre trois soirs par semaine. Ce phénomène se manifesta pour la première fois un lundi, alors qu’elle échangeait des banalités avec Michel, le sans-abri à qui elle apporte ses restes de ragoût. Elle vit un liquide rouge suinter des yeux du vieil homme lors d’un instant si bref qu’elle crut alors avoir rêvé. En l’espace de quelques semaines, les personnes qu’elle rencontre dans sa vie quotidienne se mirent progressivement à saigner des yeux. L’effroi des premiers temps, néanmoins, ne tourmenta pas longtemps le cœur de cette pieuse femme. Madame Debruine se persuada en effet qu’on lui avait accordé un don divin, en récompense de longues années de dévotion. Elle acquit la certitude que le sang suintant des globes oculaires était le stigmate de la souillure morale et, qu’en fait, elle était entourée de pêcheurs qu’elle seule était capable de voir. Comme investie d’une mission, elle exerce désormais sa compassion toute religieuse tous les soirs de la semaine, auprès des égarés aux pleurs écarlates qui viennent se restaurer et se réconforter à l’association. (extrait de Matriochki, nouvelle signée par Christophe Gallo dans le recueil Zombies)
Mais rien, absolument rien, n'est en mesure de prendre le dessus sur la puanteur d'un corps que se disputent des centaines de mains. Aucune pensée n'est plus forte que le goût des entrailles quand il vous traverse la gorge. (extrait de Pantins, nouvelle signée par Yoann Legave, dans Zombies)
Arrête ma vieille, tu te crois dans un pays merveilleux où les hommes seraient moins cons et sauraient laisser leur fierté de mâles dans leur poche…
On ne perd jamais l’espoir d’un meilleur ailleurs. D’un meilleur plus tard. Malgré les pertes. Malgré les désillusions. […] On ne perd jamais l’espoir. Même condamnés. (Lanto Onirina, La Marche du commandeur)
Il lui fallait cacher sa monstruosité intérieure, être comme tout le monde, mieux que les autres.