Il y a beaucoup de choses qui me plaisent dans ta façon de m'aimer. Mais si tu dois sauver constamment quelqu'un... ce n'est pas possible pour moi. Je n'ai pas besoin de ça, je n'en veux pas. Et j'espère que toi non plus : j'espère que tu n'as pas besoin d'être avec une femme faible pour avoir l'impression d'être un homme.
[...], mais, même aujourd'hui, en 2015, il y avait des gens persuadés que les homosexuels étaient tous des obsédés sexuels dégénérés. Des gens qui pensaient que Nick l'avait cherché.
Ça avait toujours l’air un peu cruel, d’exiger de l’agressé qu’il revive son calvaire alors qu’il n’était même pas rétabli. Mais c’était mieux pour tout le monde. Mieux pour l’enquête, mieux pour fixer les souvenirs, mieux pour la victime. La plupart du temps, juste après les faits, on n’a pas encore totalement assimilé ce qui s’est passé. L’esprit est en état de choc, le corps en mode survie, les affects réduits à zéro ou presque.
Tony avait parlé du moment où il avait su qu'il l'épouserait. De son côté à elle, il n'y avait pas eu d'instant précis, mais plutôt une journée : une journée où ils étaient allés pique-niquer avec Nick. Elle le connaissait déjà, mais Tony et elle sortaient ensemble depuis assez longtemps pour avoir cessé d'essayer de s'impressionner mutuellement. Ils passaient simplement un après-midi tous les trois. Elle avait vu comment il parlait à son frère. Elle avait écouté sa voix forte et affectueuse. Elle l'avait vu prendre Nick par l'épaule et le serrer contre lui. Alors elle avait pensé : c'est l'homme avec qui je veux faire des enfants. Mes enfants auront cet homme pour père. Elle n'avait pas compris que d'une certaine façon, il était déjà père.
Après avoir fait la connaissance de Tony, qui avait un physique de tombeur, il s’attendait à voir une femme d’une beauté exceptionnelle. Julia Hall était jolie, mais, maintenant qu’elle n’était plus auréolée de soleil, il voyait qu’elle avait des traits assez quelconques. Son visage était rond, sans signe distinctif, et restait le même, quel que soit l’angle sous lequel on le regardait. Elle avait l’air sincère et honnête : une femme dépourvue d’artifices. Cela la rajeunissait aussi, sans doute. Sans les fines rides en patte d’oie autour de ses yeux et les plis qui encadraient sa bouche, Rice ne lui aurait pas donné plus de trente ans. Elle devait avoir le rire et le sourire faciles.
Le déclin avait été rapide, après la retraite. Il était devenu vieux du jour au lendemain. Sur son trente et un dès le matin, et nulle part où aller. Seulement attendre la visite des plus jeunes : sa fille, ses petits-enfants...
Notre système judiciaire est ainsi. Il n'est pas adapté aux agressions sexuelles.
Le stage de sensibilisation culturelle et sociale qu'il avait dû suivre au printemps n 'avait pas fait disparaître ses préjugés. La seule différence, c'était qu'il en était conscient, à présent, et qu'il se sentait odieux.
On peut gloser autant qu'on veut sur le rôle des réseaux sociaux dans le déclin de la culture occidentale, du point de vue du travail policier, c'est une invention merveilleuse. Les réseaux vous révèlent qui connaît qui, le nom des gens, l'endroit où ils se trouvaient à un moment précis. Les utilisateurs peuvent afficher des photos et des déclarations compromettantes. Il suffit de faire des captures d'écran et de les classer dans un dossier pour les ressortir au moment opportun, qu'elles soient encore en ligne ou non.
Avec les smartphones était apparu un monde de nouvelles preuves. Mais encore fallait-il pouvoir y accéder. Apple refusait catégoriquement d'aider les autorités à contourner le code de verrouillage de ses appareils, ordre de la justice ou non. Le téléphone pouvait servir à filmer de la pornographie enfantine, rien n'y faisait.