Elle ressemblait à un petit oeuf de Fabergé, assise à côté de moi, dans la limousine.
J'ai donc été la première personne n'appartenant pas à la famille à rendre visite à Addy dans son asile de fous. Je m'étais bien habillée, j'avais mes escarpins, ma pochette - comment faut-il s'habiller pour rendre visite à une amie qui vient d'être internée ?
S'il te plaît, essaie de ne pas faire ta Guimauve.
Guimauve est le mot qu'utilise maman pour qualifier tout ce qui lui semble excessivement expansif ou sentimental.
Maman ne se rend pas compte que la fibre Guimauve est chez moi congénitale.
Si seulement... J'aurai sans doute bien d'autre "si seulement", dans ma vie, mais "si seulement j'étais allée voir Addy en juillet " restera sans doute à jamais le plus gros regret de ma vie.
Addison est un cauchemar sur pattes, c'est vrai, m'a dit Paloma. Mais elle est notre cauchemar à nous.
Certains se demandent s’ils vont oser perturber l’ordre de l’univers. D’autres font exploser ledit univers en mille morceaux pour voir à quoi il ressemblera le lendemain.
On a achete notre liberte ; chacun de nous peut vivre sa vie comme il l'entend, desormais. Quand elle etait en vie, ma fille faisait deja beaucoup pour nous. Je devais de l'argent. Pas enormement, mais quand meme, ca s'additionnait. Addison nous a rendu visite a la fin du premier ete, et elle s'est occupee de rembourser nos credits, a Maureen et a moi. En claquant des doigts. Comme par magie.
On avait besoin d'elle, et elle avait besoin de nous. Elle n'était jamais avare en infos sur sa vie privée . Par exemple, il lui arrivait de nous dire des trucs gratuitement, juste pour s'amuser. On savait ce qu'elle prenait au petit déjeuner , ou elle achetait ses chaussures, ses pinceaux - c'était une faiseuse de tendances, comme on dit dans le jargon. On avait toujours un œil sur elle. En revanche, elle n'a jamais verse dans l'auto promo sur les réseaux sociaux, genre Facebook ou Instagram. Elle adorait qu'on parle d'elle, mais elle refusait d'être a l'initiative de ces conversations.
Elle s'est ouverte a moi parce que je lui ai parle de ma mere, qui vient de feter ses dix ans a McLean. Ma pauvre genitrice est schizophrene ; elle a ete diagnostiquee quand elle avait dix-neuf ans et, depuis, elle a vecu l'enfer plusieurs fois. Quand ma mere perd pied avec la realite, c'est vraiment terrifiant, y compris pour sa famille. Une fois, quand j'etais petite, elle a mis le feu a ses mains. Je n'ai pas assiste a cette scene ; ca s'est passe a Gstaad. Mais bon, ca s'est produit quand meme. Chaque fois que je lui rends visite, je redecouvre les cicatrices et les boursouflures sur ses mains. Je l'imagine plongeant ses doigts dans l'atre, se figeant, regardant les flammes lecher sa peau, prisonniere de sa maladie, incapable de reagir.
Quand son état était stable, elle avait tout d'une jeune femme ambitieuse, énergique et passionnée. Généreuse, aussi. (...) Un jour, elle a déroulé son écharpe et me la mise autour du cou en me disant :
- Gardez-là, docteur. Le lilas vous va très bien.