Elle finit par sombrer dans le sommeil, seulement pour être réveillée par son bipeur au milieu de la nuit. La tonalité stridente aurait effrayé n'importe quel chat normal; Macavity, lui, se contenta d'observer sa maîtresse sans sourciller depuis l'oreiller voisin. Son regard sardonique semblait dire: Tu fais vraiment un boulot de con - un sentiment qu'à cet instant, Cassie ne pouvait certes pas contester.
Dès son premier jour de travail à la morgue, cinq ans plus tôt, Cassie avait trouvé tout naturel de parler aux défunts dont elle avait la charge, de les traiter comme s’ils étaient toujours en vie, toujours des personnes.
Et de temps à autre, il leur arrivait de lui répondre.
Ce n’était pas comme quand un vivant parlait - déjà, leurs lèvres ne remuaient pas -, et l’instant était toujours si fugace qu’elle aurait presque pu se l’être imaginé. Presque. La plupart du temps, ils posaient une question du style Où est-ce que je suis ? Ou Qu’est-ce qui m’est arrivé ?, simple reflet de leur perplexité à se trouver dans ce lieu étrange. Mais parfois, Cassie était convaincue que leurs propos contenaient un indice sur la cause de leur décès.
La jeune femme n’avait jamais raconté à quiconque ces « conversations » : on la trouvait assez bizarre comme ça. Cependant, les autres ignoraient ce qu’elle avait au fond de ses tripes : les morts parlent - pourvu qu’on sache les écouter.
La paternité n'est pas une question d'ADN. Un père, c'est quelqu'un qui vous donne le sentiment que tout ira bien. Qui peut vous passer un savon quand vous avez déconné sans vous rabaisser ni vous humilier. Qui vérifie qu'il n'y a pas de monstres sous le lit. Qui fait passer votre bonheur avant le sien. Toujours.
Si le terme « condoléances » peut sem- bler compassé et vide de sens, Cassie se rappelait souvent qu'il dérivait du très beau verbe latin condolere: souffrir avec l'autre.
Cassie lui dit tout ce qu'il fallait pour la rassurer, mais si son travail lui avait appris quelque chose, c'est qu'il n'existe aucune parole capable d'apaiser les regrets des vivants envers les morts.
Il secoua la tête et se détourna, mais elle avait eu le temps de repérer un détail perturbant : l'éclat de larmes dans ses yeux.
Ce doit être insoutenable de se dire qu'une personne qu'on aime a pu décider de son plein gré de nous abandonner à jamais.
De toute façon, elle adorait son boulot. Pour elle, s'occuper des morts était une vocation sacrée.
- Le truc, c'est que vous, vous débarquez, vous disséquez et vous disparaissez, répondit-elle. Moi, j'ai l'occasion de passer du temps avec nos hôtes, et de prendre soin de leur famille.
Quand elle accueillait un parent en deuil comme Kim, elle repensait souvent à l'étymologie du mot "condoléances" au caractère si formel. En latin, condolere signifie "souffrir avec l'autre".
- Alors ça a été ?
- Bien. Horrible. Je sais pas. Putain, Kieran, plus j'en découvre, plus c'est la merde.
Il lui adressa un sourire compatissant.
- Ça ressemble beaucoup à la vie, ça.