Acquis le 29 décembre 2022 - Librairie Chantelivre - Issy
** Coup de coeur de la fin de l'année 2022
J'ai un retard certain sur la rédaction de mes billets , mais ma boulimie, déjà exponentielle habituellement, a " crevé le plafond", ces trois derniers mois !!...
Et pourtant cette " Collectionneuse de mots oubliés " est un petit trésor à tous niveaux: aussi distrayant qu'érudit !
Un lexicographe brillant et passionné par son travail quotidien sur les mots, élève seul son unique petite fille, Esme; ce dernier ayant perdu son épouse.
Esme va grandir dans les pattes et l'ombre de son père, deviendra son assistante dans la grande tribu masculine des lexicographes. Comme son père, cela deviendra sa passion pour la vie !
Toutefois, même avec un excellent papa , formateur épatant et bienveillant, être une femme et vouloir exercer les fonctions d'une lexicographe entre le 19e et le début du 20e siècle n'est pas une mince affaire, est bien loin d'être une chose acquise !!!
Je débute ce billet par un extrait de l'auteur, expliquant fort bien sa progression dans l'élaboration de cette fiction, habilement et solidement documentée...
"Note de l'auteur , in-fine
(...)
Ce roman est une tentative pour comprendre comment la façon dont nous définissons les mots peut nous définir. J'ai essayé de bout en bout d'évoquer des images et d'exprimer des émotions qui interrogent notre compréhension des mots.En plaçant Esme au milieu des mots, j'ai été en mesure d'imaginer l'effet qu'ils auraient pu avoir sur elle, et l'effet qu'elle aurait pu avoir sur eux.
D'emblée, il m'a paru essentiel d'enchâsser l'histoire imaginaire d'Esme dans l'histoire réelle de l' " Oxford Dictionary of words" telle que nous la connaissons. Je n'ai pas tardé à m'apercevoir que cette histoire englobait le mouvement pour le droit de vote des femmes en Angleterre aussi bien que la Première Guerre mondiale."
Nous allons donc suivre le parcours complexe d'Esme, encouragée par son père et sa marraine, Ditte, elle aussi " lexicographe " ( parmi plein d'autres talents)
Cette épopée de l'élaboration interminable d'un Dictionnaire va nous faire croiser la société de l'époque , avec ses mentalités engoncées, et peu favorables aux femmes...mais aussi la grande Histoire, la première guerre....
Mais " notre héroïne " , Esme, n'a pas dit son dernier mot...et va tracer sa route avec beaucoup de ténacité et d'obstination....
Ce livre possède mille mérites, dont celui très étonnant, qu'après sa lecture, on " tourne bien 7 fois sa langue dans la bouche" pour choisir chaque mot avec plus de circonscription et moins de
désinvolture, qu'à l'habitude...!!!
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Coup de coeur !
Un roman marquant et émouvant sur les droits des femmes dans la société anglaise étriquée de la fin du XIXe et début du XXe siècle. le récit s'étend en effet de 1886 à 1928.
Le fil conducteur de l'histoire est la rédaction du premier Dictionnaire d'Oxford qui deviendra la référence pour la langue anglaise. L'ouvrage a donc son importance ! Pourtant nous découvrons progressivement que certains mots en sont écartés : ils n'ont pas été écrits par des auteurs, relèvent de la langue orale et sont trop banals ou vulgaires. Bien souvent ce sont des mots employés par les femmes et les concernant directement. le dictionnaire est rédigé et financé par des hommes, à partir de citations d'hommes. A cette époque, les femmes n'obtiennent pas de diplômes quand bien même elles étudient, n'ont pas accès aux bibliothèques universitaires, n'ont pas le droit de vote et ne se voient attribuer que des tâches subalternes lorsqu'elles travaillent. On va assister aux réunions des premières suffragettes et aux débats parfois houleux sur la question de la place des femmes dans la société. Les questions du mariage, de la liberté sexuelle (et du plaisir féminin), de l'avortement, de l'adoption, seront posées au fil du récit avec tout ce que cela implique au regard de la société.
Bien que romancée, cette histoire s'inspire de faits réels et il est bien avéré que certains mots avaient été écartés. Plusieurs femmes ont oeuvré depuis le début pour le dictionnaire et durant 40 ans, sans relâche, et ne sont pourtant pas citées ni même remerciées. Elles ne seront pas admises à célébrer la publication du dictionnaire en dînant avec les hommes : elles n'auront que le droit de les regarder dîner…
De nombreux points sont révoltants et l'auteur sait les raconter avec force et détermination, mettant en avant ces aspects dissonants. L'écriture est emplie d'émotions diverses et m'a beaucoup touchée. Une grande humanité transparait entre les lignes.
La fin est splendide, inattendue en ce qui me concerne, mais si belle.
Un premier roman de grande qualité ! A lire et faire lire !
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J'ai adoré le premier chapitre avec cette fillette émerveillée par le monde des mots qu'elle découvre auprès de son père dans l'atelier où il travaille au premier Dictionnaire d'Oxford.
Et puis, les chapitres se sont succédé, avec quelques mois voire quelques années qui s'écoulent à chaque fois. Et j'ai eu l'impression de connaître de moins en moins l'héroïne, la fillette qui grandit et qu'on ne connaît que par bribes...
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Traduit de l'anglais par Odile Demange
Cette histoire d'Esme, va beaucoup plus loin qu'une simple histoire de mots oubliés. Elle collectionne aussi les mots délaissés, interdits, bannis, vulgaires, égarés, perdus, rejetés, négligés et comme par hasard, ce sont souvent des mots qui concerne le femme.
Ce livre raconte le travail acharné des lexicographes, réunis dans le Scriptorium, à la recherche de la définition la plus appropriée d'un mot qui doit, ou pas d'ailleurs, figurer dans le premier dictionnaire d'Oxford.
Mais après ce travail intellectuel intervient le travail manuel qui s'effectue dans les imprimeries.
La condition de la femme est aussi abordée car c'est l'époque des suffragettes et, si elle ne manifeste pas avec elles, Esme est de tout coeur en accord avec leur combat. A sa manière, elle se bat aussi en collectionnant les mots.
La guerre 14/18 est aussi abordée avec toutes ses effroyables conséquences sur les pauvres soldats envoyés à l'abattoir.
Une histoire pleine d'histoires émouvantes.
Et, ce qui ne gâte rien, une superbe couverture avec une épingle à chapeau qui a, elle aussi, une histoire, et, au milieu des fleurs, Esme avec son vélo.
Une lecture que je recommande à tous les amoureux des mots. Ce que nous sommes puisque nous aimons la lecture.
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Il est peu de mots qui possèdent autant de variantes qu'aimer. Je l'ai senti résonner profondément dans ma poitrine et j'ai su qu'il avait un sens différent de toutes les versions que j'avais déjà entendues ou prononcées.
Les choses pourraient sûrement changer si suffisamment de gens le voulaient
Je ne suis pas un poète, mon amour. Mes mots sont pâles et chétifs devant la puissance colossale de cette expérience. Je pourrais te dire que c’est abject, que la boue est plus boueuse, l’humidité plus humide, la mélodie de la flûte dont joue un soldat allemand plus belle et plus mélancolique que tous les sons qu’il m’ait été donné d’entendre. Mais tu ne comprendrais pas. Les dictionnaires du Dr Murray ne contiennent pas un mot qui puisse rendre la puanteur qui règne ici. Je pourrais la comparer à celle qui se dégage du marché aux poissons par une après-midi torride, à celle d’une tannerie, d’une morgue, d’un égout. Elle est tout cela à la fois, mais c’est surtout la manière dont elle s’insinue en vous et se transforme en goût et en crispation de la gorge et du ventre. Tu imagineras quelque chose d’atroce, mais c’est pire. Et puis, il y a cette boucherie. Elle vient à toi dans le Times . Le « Tableau d’honneur ». Des colonnes de noms à n’en plus finir, en Monotype Modern. Comment te dire le sentiment qui déchire le cœur quand la braise d’une cigarette continue à rougeoyer dans la boue, alors qu’un obus a emporté les lèvres qui la tenaient ? C’est moi qui l’avais allumée, Es, cette cigarette. Je savais que ce serait sa dernière. Voilà ce que nous faisons. Nous allumons des cigarettes, nous hochons la tête, nous soutenons leur regard. Puis nous les envoyons de l’autre côté du parapet. Il n’y a pas de mots.
Bonne-à-tout-faire. Le mot m'est revenu à l'esprit et j'ai pris conscience que les termes les plus fréquemment employés pour nous définir étaient ceux qui décrivaient notre fonction par rapport à d'autres. Les mots les plus anodons eux-mêmes - jeune fille, épouse, mère - révélaient au monde si nous étions vierges ou non.
« Et toi, pourquoi tu fais de la broderie ? »
(…)
« Je crois que j’aime bien avoir les mains occupées », a dit Lizzie. J’ai mis un moment à me rappeler ce que je lui avais demandé. « Et puis ça prouve que j’existe, a-t-elle ajouté.
— C’est bête. Évidemment que tu existes. »
Elle n’avait pas fini de faire son lit, mais elle s’est interrompue et m’a regardée avec un tel sérieux que j’ai reposé la lettre de Ditte.
« Je fais le ménage, j’aide à la cuisine, j’entretiens les feux. Tout ce que je fais est mangé, sali ou brûlé – à la fin de la journée, y a aucune preuve que j’ai été là. » Elle s’est tue, s’est agenouillée à côté de moi et a caressé la broderie qui ornait le bord de ma jupe pour dissimuler la reprise qu’elle avait faite quand des ronces l’avaient déchirée.
« Ma broderie, elle sera toujours là, a-t-elle ajouté alors. Je la vois et j’me sens… ma foi, j’trouve pas le mot. Comme si que je serai toujours là.
— Permanente, ai-je suggéré. Et le reste du temps ?
— J’me sens comme un pissenlit juste avant que le vent souffle. »