Anna et Thomas Sénéchal ont perdu leur garçon, Gabi, dix ans, mort noyé sous les yeux du père impuissant à le sauver après être tombé d'une digue dans l'océan un jour de tempête. Même en cas d'accident, la procédure exige un dossier. La juge d'instruction, Dominique Bontet est chargée de le clore un an après mais elle tarde à le faire, son instinct lui soufflant que quelque chose cloche sans parvenir à mettre le doigt dessus. le dossier Sénéchal n'est pas le seul qu'elle doit gérer, il y a celui du couple
Le Bihan, une enquête pour violences conjugales.
A partir de ce point de départ,
Fabrice Tassel tisse un roman noir tout en finesse, une tragédie en trois actes jusqu'au dernier au cours duquel les masques tombent et les vérités apparaissent, amères et banales dans toute leur médiocrité, dérangeantes tout de même. Dans les deux premiers, il décortique précisément la mécanique des sentiments qui tourbillonnent autour de la culpabilité, de la loyauté, du chagrin et du deuil, disséquant les secrets de deux couples dont il croise les interrogations, les compromis, les illusions et les failles pour mieux explorer la part de ténèbres, parfois insoupçonnable de chacun.
Une vraie tension s'installe au fil du récit, bien au-delà des ressorts dramatiques liés à la mort de l'enfant et des répercussions du deuil impossible sur un couple. Au départ, on ne comprend pas vraiment pourquoi l'auteur à rajouter dans son intrigue le couple
Le Bihan dont les enjeux semblent très éloignés. Et pourtant, un fil mystérieux se crée entre les deux couples, remarquablement tendu, distillant un suspicion feutré qui se dissémine dans la tête du lecteur.
J'ai également beaucoup apprécié le personnage de la juge d'instruction. Il est rare de voir un tel personnage aussi incarné ( il y a bien sûr la juge d'instruction antiterroriste Alma Revel dans l'excellent
La Décision de
Karine Tuil ), empathique, passionnée, jamais blasée. Avec elle, on sent à quel point rendre la justice est une affaire humaine. On la voit au travail, on la suit dans ses questionnements permanents. « Je suis là pour remplir les vides. Tu imagines comme c'est épuisant, hein ? » dit-elle à son mari « greffier de ses états d'âme » lorsque le sommeil la fuit, hantée par une ancienne affaire ou celles du moment.
On est surpris de la voir tarder à clore une affaire de noyade d'apparence aussi « simple ». Mais les histoires simples, ça n'existe pas.
L'article 353 du Code pénal le dit bien, prescrivant aux juges : « de s'interroger eux-mêmes dans le silence et le recueillement et de chercher, dans la sincérité de leur conscience, quelle impression ont faite, sur leur raison, les preuves rapportées contre l'accusé, et les moyens de sa défense. La loi ne leur fait que cette seule question, qui renferme toute la mesure de leurs devoirs : " Avez-vous une intime conviction ? ".
Un roman très fort qui invite à se glisser au-delà des apparences en jouant sur la pluralité des points de vue, ce qui donne un récit riche en nuances porté par une écriture précise, élégante, attentive aux moindres détails.