D'un abord un peu difficile - il faut placer les personnages, les identifier d'après leurs dialogues intérieurs ou entre eux, prendre le rythme du langage cokney - le roman devient addictif par son humanité, sa réflexion existentielle exprimée par des gens que l'on dit "du peuple", commerçant, artisan, sportif, chacun relié à l'autre par la mort de l'un d'entre eux dont ils accompagnent les cendres jusqu'à la station balnéaire de Margate au sud de l'Angleterre. Je n'ai pas lu ce roman en spectatrice d'un choeur, ce qu'il est, mais avec empathie, vivant leurs pensées, leurs histoires individuelles. "Dans leurs têtes". le tour de force de
Graham Swift (déjà aimé "
Le dimanche des mères" et "
J'aimerais tellement que tu sois là") est de donner la parole à deux personnages mutiques : Jack, l'artisan boucher, en cendres dans un bocal, et June, sa fille enfermée dans une existence paralysée depuis la naissance. L'un réellement mort, l'autre morte-vivante. Ce n'est pas seulement l'histoire de quatre hommes qui emmènent leur ami, sous la pluie, au bout de la Jetée, selon son souhait. C'est aussi celle des femmes de leurs vies (en particulier Amy), tellement présentes en filigrane qu'il est impossible de les dissocier de ces cinq figures masculines. La dernière guerre mondiale, également présente, explique les amitiés, les combats, les traumatismes, les sentiments, les émotions. J'ai trouvé poignant chacun et chacune d'entre eux. Mine de rien,
Graham Swift signe un roman philosophique, presque mystique, où les larmes et les rires coulent avec pudeur dans un voyage improbable vers l'embarcadère universel où la mort nous attend, devenant vie dans le vent. Merci à l'auteur, au traducteur
Robert Davreu, pour ce moment de lecture sur laquelle je serais intarissable s'il ne fallait pas s'arrêter à une dernière tournée.