« Je n'étais pas tranquille. Peut-être est-ce mon destin de ne l'être jamais. »
Roman psychologique, précurseur de
Proust,
James Joyce à l'italienne, la messe est dite sur l'ouvrage le plus célèbre du triestin
Italo Svevo.
L'auteur italien eut une carrière littéraire dilettante, commençant très jeune avant de vivre
une vie professionnelle plus chiant.. pardon “classique” et de revenir à ses premiers amours littéraires.
«
La conscience de Zeno » paru en 1923, et pour partie autobiographique, prend la forme d'un long journal rédigé par un patient à l'attention de son psychanalyste.
Nous devons à
Mario Fusco le texte intégral, la première édition en français paru tronquée car jugée (à grand tort) trop verbeuse, au grand dam du vieux
Svevo, toutefois ému par une renommée tardive. Aujourd'hui encore celui qui a sa statue à Trieste divise la critique italienne sur la qualité de son style dont le lecteur français ne peut apprécier certaines nuances, notamment l'emploi d'un patois régional à certains passages, complexité linguistique d'autant plus compréhensible que Trieste fut une ville aux multiples influences, entre les Balkans, l'Italie et l'Empire Autrichien.
« Je suis au moins sûr d'une chose ; écrire est le meilleur moyen de rendre de l'importance à un passé qui ne fait plus souffrir et de se débarrasser plus vite d'un présent qui fait horreur. » Pour résumer : Zeno est l'archétype et la quintessence de la littérature « blanche ». Cette littérature inclassable, classique s'il en est (mais toujours novatrice pour son époque), une littérature psychologique, du sentiment, de l'introspection où le monde intérieur se dévoile, avec ses sommets et ses grottes souterraines, ses ombres et ses mondanités, ses drôleries et ses drames.
« C'est un malaise auquel je suis sujet : les poumons fonctionnent bien, mais je m'applique à respirer, je compte mes respirations, l'une après l'autre, et il me semble que si mon attention se relâchait, ce serait aussitôt pour moi la mort par étouffement. » Dans cet ouvrage, Zeno tour à tour s'amuse et se désespère de son hypochondrie, de son tabagisme abusif (des pages sur la cigarette absolument géniales), se prête à toutes sortes de commentaires sur l'expérience humaine jusqu'aux couleurs que reflètent nos paupières closes après que nos yeux se soient éblouis au soleil.
« Bien que je ne fusse pas orateur, j'avais la maladie de la parole. » le lecteur, et c'est un luxe d'humour, de complicité et de nuance, peut découvrir à la fois les évènements eux-mêmes mais aussi le regard luxuriant et a posteriori de Zeno sur son père, les quiproquos nombreux qui conduisirent à son mariage avec l'une des filles Malfenti, sa relation avec les femmes et son aventure commerciale avec son beau-frère.
C'est cette distance de l'âge, entremêlée de souvenirs, qui apporte son épaisseur de champ au récit. C'est aussi ce qui rattache incontestablement
Italo Svevo au courant des auteurs du « flux de conscience » au nombre desquels le français
Marcel Proust, l'irlandais
James Joyce, grand ami et promoteur de
Svevo ou encore la britannique
Virginia Woolf.
Puis il y a une autre distance, celle du lecteur d'aujourd'hui, qui découvre la Belle époque bourgeoise cristallisée dans cet ouvrage, avec ces facéties, sa culture, ses moeurs, ses croyances et ses préjugés de genre heureusement dépassés de nos jours.
« Il faut être bon. Tout est là. Qu'importe le reste. » Au sortir de cette saga familiale, Zeno ne peut que faire partie de la famille du lecteur, constituée des grands personnages qui ont marqué ses lectures. Car en dépit de toutes les tares dont il s'affuble, son honnête exercice d'introspection nous amène à le voir comme un véritable pilier sur qui son entourage peut compter.
Je n'ai pas été avare de superlatifs mais nul doute qu'un latin comme Zeno ne l'était pas non plus… et vous, qu'en pensez-vous ?