L'être que je suis

Vous connaissez les journaux tenus par des animaux à destination des enfants ? La série du "Journal de Gurtie", celle de la famille Wombat, Edward le hamster... découvrir ce qu'il se trame dans leur esprit et observer nos habitudes d'humains à travers leurs yeux est souvent très amusant.

Pourquoi ce genre devrait-il être réservé à nos têtes blondes ? Pierre-Michel Sivadier propose avec "L'être que je suis" une version pour les grands, avec un chat dans le rôle du narrateur.
Un brin hautain, comme il se doit, fin gourmet et amateur d'art (musique, installations élaborées...), il est très attaché à sa maîtresse Isabelle. À moins qu'il ne préfère Jack, son précédent colocataire ?
Il faut dire que lui avoir collé Aboi-Pattes dans les pattes n'était pas forcément du meilleur goût. Heureusement, notre chat sait se montrer magnanime et attentionné.

Merci à Pierre-Michel Sivadier de m'avoir envoye son "journal" court, léger et amusant, mais pas seulement. Je ne doute pas qu'il donnera à penser aux colocataires de chats, notamment avec la jolie trouvaille du langage K qui voudrait qu'avec un peu de travail les humains pourraient communiquer avec les animaux. On s'y met quand ?

« Aujourd'hui, rien de spécial » sont les premiers mots de « L'Être que je suis ».

Mais au contraire, tout devient spécialement étonnant dans ce récit de Pierre-Michel Sivadier, écrit comme un journal, à la première personne, et qui d'emblée nous demande de nous mettre à la hauteur du narrateur, soit de descendre vers le sol pour jouir d'un point de vue qui métamorphose le monde matériel en univers fantastique.

La nuit, la ville, la cuisine, les armoires, la nature, la voix humaine, les bruits et les matières, tout change de dimension dans ce voyage où nous embarque un chat philosophe qui balade son regard comme une caméra subjective sur tout ce qui l'entoure, évitant les plans large et s'attardant sur les détails pour nous inviter à rêver sur le hors-champ.

Si nous suivons si facilement ce poète à quatre pattes qui nous raconte ses circulations de Paris à sa banlieue et du plancher aux étagères de la salle de bains, c'est qu'il nous séduit, dès les premières pages, en faisant de nous ses confidents,ses complices, nous confiant ses états d'âme, de l'admiration à la jalousie, du mépris à la tendresse, sa culture musicale, son amour de la peinture et du cinéma.

À l'affut de tout ce qui pourrait nourrir son insatiable besoin de penser, le chat ne s'ennuie jamais. Il bouillonne, se fait des films, commente, ironise, cabotine, affabule, raisonne et déraisonne, dans un soliloque jubilatoire qui fait toujours dans la douceur et dans l'économie.

Le chat n'est jamais bavard. Il soigne sa langue, sculpte sa prose comme un orfèvre le ferait d'une pierre précieuse, avec patience et précision, cherchant pour chaque idée la tournure parfaite. le récit suit ainsi le cheminement toujours poétique d'un acteur-spectateur qui décide, selon l'humeur, d'entrer dans l'action ou de s'adonner à la contemplation, qui semble nous prendre de haut mais dont la seule présence, inexplicablement, rassure et réconforte, qui jouit de la fascination qu'il exerce sur les humains, de l'insondable mystère que nous projetons sur « sa personne ».

Jean-François Sivadier
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