À Baldur von Schirach - le grand-père de Ferdinand von Schirach - on prête (ainsi qu'à d'autres dignitaires nazis) l'expression « Quand j'entends le mot culture, je sors mon révolver ». Cette réflexion s'appuie sur une réplique d'une pièce de théâtre de Hans Jost consacré à Albert Leo Schageter, un combattant allemand des Freikorps, considéré comme un martyr pendant la République de Weimar puis par le Troisième Reich. Dans cette pièce, un personnage de fiction réplique à Schageter que « Wenn ich Kultur höre... entsichere ich meinen Browning ! » que l'on peut traduire par « Quand j'entend le mot culture,… je sors/j'arme mon Browning! ». À
Ferdinand von Schirach - le petit-fils de Baldur von Schirach - on pourrait prêter l'expression « Quand j'entends le mot revolver, je sors ma culture ».
Dans
Terreur,
Ferdinand von Schirach apporte en effet sa contribution à la question du terrorisme* tout en utilisant son expérience de juriste (d'avocat en l'occurence).
Terreur relate le procès d'un militaire allemand, le lieutenant Koch, accusé d'avoir tiré sur un avion de ligne, provoquant la mort de 164 personnes alors que cet avion avait été détourné par un terroriste qui planifié de le faire s'écraser sur un stade de foot contenant 70 000 personnes. Autant, le lieutenant Koch qui a désobéi à sa hiérarchie - il n'a pas reçu l'ordre d'abattre l'avion - plaide coupable pour le meurtre de 164 personnes autant il le met en balance avec la mort probable de 70 000 personnes dans le stade.
Dès lors tout l'enjeu du procès est de déterminer si « Lars Koch avait-il le droit de tuer ces 164 personnes ? Y-a-t-il des situations dans notre vie dans lesquelles il est juste, raisonnable et judicieux, de tuer un être humain ? Et davantage encore : dans lesquelles ne pas le faire serait absurde et inhumain ? » (p. 18-19) - c'est l'avocat de Lars Koch qui parle. Pendant le procès, l'avocat de Lars Koch et le procureur opposent des arguments contradictoires pour déterminer la légitimité de l'acte de Lars Koch - pour le dire vite, est-il légitime et/ou moral de tuer des personnes pour en sauver d'autres ? - en s'appuyant sur des cas historiques, des expériences de pensée et en mobilisant la littérature sur les situations de « sauve-qui-peut » comme le dilemme du tramway ou le cas de la Mignonette**.
Ferdinand von Schirach ne tranche pas en faveur ou en défaveur de Lars Koch : à l'issue du procès, un chapitre présente le verdict dans le cas où l'accusé est reconnu coupable et un chapitre dans le cas où il est reconnu innocent.
Datant de 2015,
Terreur est une pièce de théâtre dans lequel le public à l'issue du procès était appelé à voter (un peu à la manière des pièces de
Robert Hossein). Des représentations ont été données dans plusieurs pays - en Allemagne évidemment, en Autriche, au Japon ou au Vénézuela - avec des résultats assez différents. Pour Ferdinand von Schirach, l'enjeu n'est pas le verdict lui-même mais davantage les discussions suscitées par ce procès fictif.
Avec ce procès-fictif,
Ferdinand von Schirach est aussi efficace qu'avec ses romans et nouvelles et réussit à faire réfléchir le lecteur sur des questions de sauve-qui-peut pas évidentes à trancher sinon par l'action.
* Ici,
Ferdinand von Schirach ne discute pas des motivations des terroristes comme le faisait son compatriote
Hans Magnus Enzensberger dans l'essai
le perdant radical: Essai sur les hommes de la terreur mais des conséquences qu'ils peuvent générer sur la vie des non-terroristes. le texte est suivi du discours de Ferdinand von Schirach à l'occasion de la remise du prix M 100 Sanssouci Medien Award à
Charlie Hebdo.
** Même s'il est aisé de trouver des informations sur ces thèmes, il est dommage que ce corpus ne soit pas discuté et présenté en annexe.