Mon avatar a la mine des mauvais jours. Une triste figure.
Comme un enfant trahi par les goûts parfois douteux du Père Noel, j'ai refermé le «
Quichotte » de
Rushdie en me disant que les descendants de
Cervantes devraient déposer une demande d'AOC à l'Union Européenne pour protéger l'héritage et le prestige de l'ingénieux hidalgo.
Pourtant la promesse était belle et je m'alléchais les doigts avant de tourner les pages. Une version moderne de l'aventure du chevalier mythique à l'ère post moderne par
Salman Rushdie avait de quoi faire saliver et mes marque-pages se battaient pour jalonner ma lecture.
Ici, les romans de chevalerie sont remplacés par des émissions de télé abrutissantes. Comme échappatoire au monde de réel, le niveau baisse. Côté promise, Dulcinée, le mirage de la princesse charmante cède la place à une muse moderne, Salma R., vedette du petit écran de fumée et accro aux opiacés. Rossinante, le fidèle destrier, est restée à l'étable et la traversée de l'Amérique se fera au volant d'une vieille Chevrolet. Nous sommes aux States.
Représentant errant de commerce en produits pharmaceutiques douteux,
Quichotte quitte le monde réel et prend la route à la recherche de sa belle. Pour avoir quelqu'un à qui parler,
Quichotte s'invente un fils imaginaire sur le siège passager. Il fera office de Sancho, un être virtuel qui prendra chair peu à peu et dont le nez s'allonge quand il ment. Cela me rappelle quelque chose…
Si l'auteur en était resté au cette aventure picaresque, si les moulins à vent avaient pu être remplacé par des éoliennes, il aurait pu réussir une satire du monde moderne et de ses bonheurs virtuels et artificiels. Ses talents de conteur n'ont pas disparu et sa plume ne fuit pas pour imager les fléaux de l'époque (le racisme du quotidien, les agressions sexuelles dans son pays de naissance, la drogue, le tribunal de l'opinion via les réseaux sociaux…).
Hélas,
Salman Rushdie noie le lecteur d'histoires parallèles mêlant le réel et la fiction qui transforment son récit en rame de métro surchargée, fourre-tout d'individus interchangeables auquel il est impossible de s'attacher, embouteillage navrant de gugusses et de mémères au rayon PQ d'un supermarché la veille d'un reconfinement. Les personnages manquent de consistance, de limaille pour devenir aimants. D'ailleurs, certains changent de noms en cours de récit, d'autres collectionnent les identités.
le Don
Quichotte originel et la copie de la copie de
Rushdie souffrent tout deux d'hallucinations. J'ai partagé les rêves du premier. J'ai observé de loin les délires du second.
On comprend bien l'intention de l'auteur derrière ce récit et cette volonté de s'inspirer de
Cervantès: différencier la fiction du mensonge. La première est un art, le second une tromperie ou trumperie. Pour fuir les traumatismes et les épreuves, la fiction est thérapeutique, le mensonge est un placebo. Il faut lire des histoires, pas se les raconter.
Salman Rushdie semble douter de notre capacité à mener une vie réelle.
Au final,
Quichotte est un repas où il y a trop d'invités et trop de plats au menu. Une exubérance qui égare l'histoire, qui nous fait parfois passer à côté de passages virtuoses et drôles par indigestion, qui atrophient notre capacité à se saisir de toutes les réflexions fort pertinentes de l'auteur sur nos société et nos moeurs.
Déception.