Audacieux. Cynique. Et, oserait-on le dire, révolutionnaire ?
Si nous vivons assez longtemps pour être témoins de la prochaine Révolution,
New York 2140 en sera l'une de ses sources d'inspiration.
C'est le roman que tout le monde devrait lire, même si l'on considère la science-fiction un genre bizarre, profondément inquiétant et pessimiste, ou trop ombiliqué.
On a rarement l'occasion de rencontrer un auteur qui se sert de son oeuvre pour vous parler directement, à l'image d'une bouteille jetée à la mer. Ce message nous est adressé élégamment par «le citoyen» (
Kim Stanley Robinson à l'évidence!). Celui-ci ne cache pas sa frustration, sa colère, son désarroi, son dépit suintant de dégoût et limite désespéré de la bêtise et l'avidité humaine. Sa colère légitime tournée vers la classe dirigeante, oligarques et ploutocrates, « main invisible » et pieuvre malfaisante illustrant le capitalisme, cache cependant une profonde tristesse que je pense partager avec lui. Si l'on est aussi furieux, c'est parce que notre déception l'est tout autant…
Mais à ma plus grande joie et surprise, alors que la résignation pousse la plupart des auteurs de science-fiction à imaginer le pire et nous inciter à croire que c'est inévitable, Kim lui nous illustre une alternative, une VRAIE alternative ! Un autre monde est possible, les amis !
Et alors que le récit trace la vie de multiples personnages ordinaires avec leurs failles, leurs atouts, petits et gros problèmes, on découvre avec une lenteur assez troublante que ces personnages n'ont pas de véritables rôles à jouer dans cette histoire… Et pourtant ! Ensemble, ils deviennent les acteurs d'un grand bouleversement qui va faire effondrer le château de cartes des banques, fonds d'investissement, riches et financiers. Que c'est jouissif et exaltant !
Mais alors que l'espoir gonfle nos veines (et j'aime tellement qu'il l'ai fait!), l'auteur abat sa règle sur nos petits minois ensorcelés : «Ne soyez pas naïfs !» nous implore-t-il presque. «Il n'y a pas de fin heureuse. Parce qu'il n'y a pas de fin !»
L'Histoire est construite par les gens. Et tous ne sont pas bienveillants, ce n'est plus à prouver. Même dans le meilleur des mondes, il y aura des gens qui voudront le bousiller. L'auteur nous rappelle que la vie est une lutte de tous les instants. Ne baissons pas la garde, car même le capitalisme mis à terre trouvera des moyens insoupçonnés de se relever.
Le bon peut triompher, mais c'est un combat sans fin.
Sur cette belle note, je vais faire ma «pointilleuse» : Deux enfants dans le récit ne savent pas lire, ils apprennent mais on voit plus tard qu'ils ont encore beaucoup de lacunes, cependant ils se rendent dans un cimetière et arrivent à lire les épitaphes…
(Je peux me le permettre parce que le texte explore tellement en profondeur et avec d'ingénieuses métaphores le monde obscur du capitalisme que ce détail passe inaperçu en comparaison).
Quel étrange paradoxe… voilà un roman qui combine espoir et frustration.
Précisément parce que c'est un roman.