L'enfant exaspérait par ses pleurnicheries alors on l'a mise à la porte de cette maison où des gens dormaient parfois à même le sol.
Mais
Lila ne parle pas de cette époque où elle a été enlevée par Doll, pleine de pitié envers cette petite de quatre ou cinq ans, toute rachitique, dont personne ne prenait soin. Enveloppée d'un châle qui l'accompagnera longtemps,
Lila fut emmenée sous la pluie jusqu'à la petite maison d'une vieille femme. Si chétive, pleine de poux, elle fut probablement sauvée par l'attention de Doll et ses cuillérées de gruau de maïs données si patiemment pour la maintenir en vie.
Maintenant,
Lila est mariée avec le Révérend et habite la petite bourgade de Gelead, dans l'Iowa. Elle ne cesse de se remémorer le passé, son passé, un temps sur lequel le Révérend ne l'a jamais interrogée.
Aucune trame temporelle ne se dessine ici et le lecteur doit se laisser dériver vers différentes phases du passé de
Lila qui surgissent, en désordre, au gré de ses pensées.
Elle s'attarde sur la cabane, ce refuge qu'elle a trouvé juste avant de faire la connaissance du Révérend Ames. Fatiguée de marcher, elle s'est arrêtée un jour dans cette petite maison abandonnée, non loin du bourg de Gelead. Elle a éprouvé le besoin de rester un moment au même endroit, avec sa petite valise, son sac de couchage et sa solitude.
Un jour, « toute dégoulinante de pluie, elle était entrée dans son église » alors qu'il baptisait deux bébés et, du discours du Révérend, ses pensées retournent vers Doll qui l'avait ramassée un autre jour de pluie. Avec elle, pendant plusieurs années, elles ont suivi sur les routes une petite troupe et offraient leurs bras dans les fermes, avant le Krach. Une année, elles se sont sédentarisées afin que
Lila puisse aller à l'école et apprendre à lire et écrire.
La voix de Doll résonne toujours dans sa tête avec la recommandation de ne jamais faire confiance à personne. Mais l'approche délicate du Révérend, cette attraction qu'elle éprouve vers l'église, cette tranquillité qu'elle ressent, marchant aux côtés du vieil homme si doux, si solide, la retiennent, l'empêchent de repartir sur les routes. Et puis, elle est peut-être lasse de cette vie solitaire.
Dans la Bible, elle recopie une dizaine de fois des passages dont elle veut saisir le sens. Pourraient-ils lui donner des réponses à ses interrogations sur l'existence, à la honte qu'elle éprouve vis-à-vis de certains épisodes de sa vie, au caractère étrange et gênant de certaines pensées qui la traversent ?
Une question l'obnubile et elle ose la poser au Révérend « pourquoi les choses se passent-elles comme elles se passent ? » Celui-ci reconnaît humblement son incapacité à y répondre sur le champ.
Vous aurez compris que ce roman, puisant quelques passages dans la Bible, glisse vers des interrogations théologiques. Même si elle est amenée avec intelligence, sans aucune orientation précise puisque le Révérend hésite lui-même à répondre catégoriquement à ces questions légitimes sur le pouvoir de Dieu, cette approche religieuse peut rebuter certains lecteurs. D'ailleurs, ces passages, sans réelles réponses, peuvent même paraître assez abscons parfois.
Cependant, toute la beauté de cette lecture réside dans la relation qui s'instaure entre le vieux pasteur et
Lila. Une relation si palpable, pleine de prudence et de douceur, avec la peur du Révérend de voir partir
Lila, de constater qu'elle n'est pas heureuse avec lui. Pour
Lila, c'est la peur que son mari regrette cette union et, alors qu'elle est enceinte, l'inquiétude que le bébé perçoive son humeur sombre et ses pensées plutôt tristes. Elle découvre la douceur et le réconfort apportés par l'amour du Révérend mais peut-elle légitimement s'y lover ? Saura-t-elle enfin, malgré son parcours chaotique, accorder sa confiance à un être humain ? La bonté du pasteur arrivera-t-elle à concilier chez elle son passé et son présent ?
Pourtant, toute insignifiante que peut paraître la vie de
Lila, elle a bien son importance puisque Doll voulait ardemment qu'elle vive et le Révérend n'a qu'un désir, qu'elle reste là, avec lui.
Un peu déstabilisée par le début de cette lecture, j'ai trouvé ensuite qu'elle s'apprivoisait tout doucement. Ce fond de questionnements spirituels lui confère finalement une atmosphère très délicate qui s'apprécie, même si l'on condamne le caractère sectaire de toutes les religions !