Jours de sang est une expérience.
Sue Rainsford y propose un texte déstabilisant, qui demande beaucoup au lecteur.
C'est une histoire de pandémie, en attendant la fin du monde. Enfin c'est ce qu'on peut imaginer. Je peux répondre à votre interrogation immédiate : elle n'a pas grand-chose à voir avec celles que vous avez déjà pu lire.
L'autrice utilise constamment l'ellipse narrative avec sa construction qui donne voix à plusieurs personnages, parlant par sous-entendus, comme si vous saviez. Ce qui n'est pas le cas.
Le récit demande donc à ce que le lecteur fasse marcher son imagination, trouve souvent les réponses lui-même (et même les questions, au passage).
Dans ce monde dystopique, post-apocalyptique, anticipatif (choisissez ce qui vous conviendra), cette pandémie rouge fait apparaître des éruptions cutanées et engendre des modifications physiques, dans un environnement où la planète se révolte.
Anna et Adam sont au centre, l'alternance des narrations leur laissant une place de choix (passages entrecoupés du journal de Koan, le « chef de clan », et d'autres protagonistes au fil des pages).
Le lien de gémellité entre Anna et Adam est fort, mais vicié, étrange. Ils se partagent le jour et la nuit, se croisent à peine. Deux caractères à l'opposé chez ces presque adultes, une fille forte et un garçon de nature introvertie.
Ils n'ont jamais rien connu d'autre que ce monde. Celui où ils se cachent pour se protéger, où il faut suivre des règles strictes, en fuyant tout ce qui est rouge. Ils sont presque seuls maintenant, abandonnés peu à peu par leur mère et le reste du groupe. Reste Koan…
Une ambiance sectaire, poussant au culte, ou se mêlent allègrement religion, croyance et science, des personnages perturbés. Des sujets forts autour de la manipulation et de la corruption de l'innocence.
On découvre à travers le journal de Koan, et les réactions des deux adolescents, combien son comportement pose question depuis longtemps ; autoritaire et au comportement envers les femmes qui interroge beaucoup.
On ne sait rien du monde autour, pas d'explications, à peine une phrase par ci par là à laquelle s'accrocher.
Sue Rainsford parle en images, dans un style poétique et mystérieux au possible.
Un récit viscéral, charnel, ou le rouge est l'impur, à l'image du sang menstruel. Une tension palpable, une violence refoulée qui parfois explose, des corps confinés (le roman a été étonnamment écrit avant le COVID).
L'écrivaine, artiste, parle souvent par messages codés, au lecteur de déchiffrer les nombreuses symboliques. Souvent de manière métaphorique, jamais facilitante, le lecteur doit se laisser conduire un peu à l'aveugle.
C'est souvent déroutant. Rarement j'ai été à ce point perturbé, parfois perdu. Et pourtant, je continuais à me plonger dans ces pages, presque hypnotisé, malgré le manque de réponses. Au final, je reste tout de même frustré d'en avoir eu aussi peu.
Une lecture difficile aussi, douloureuse, par les sujets effleurés. Pas du genre à ménager le lecteur, mais plutôt à le bousculer. Oui, on peut aussi apprécier une lecture qui fait mal.
Jours de sang est comme ces oeuvres d'art abstraites, présentées sans explication et que chacun ressentira à sa manière, selon sa sensibilité. Une expérience à tenter si vous acceptez de lire sans tout comprendre immédiatement,
Sue Rainsford est clairement une voix à part dans le monde de la littérature.
Lien :
https://gruznamur.com/2024/0..