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EAN : 9782384062874
336 pages
Editions Douro (01/12/2023)
4.85/5   10 notes
Résumé :
Les cris, nouvel inventaire, fait suite à un premier texte qui comportait quatre-vingt-dix-neuf fragments numérotés. Ce nouvel inventaire ajoute à ces derniers une centaine de nouveaux fragments, soit en totalité, 199 « cris ». Ces « cris » ressemblent à ceux que nous pouvons entendre à deux pas de chez nous, dans la rue, au cœur de notre foyer ou dans les profondeurs de notre imaginaire : le boucher, le bûcheron, un flic, un juge, un voisin sans histoire, deux coll... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (9) Voir plus Ajouter une critique
Les Cris. Nouvel inventaire, est un livre hors normes, à la fois loufoque, poétique, déjanté et très réaliste. En reprenant et complétant son premier, ses premiers 99 cris, Christina Mirjol affirme un peu plus son extrême originalité, son sens du théâtre et son don pour l'observation de la vie quotidienne.
En 199 cris, certains très brefs, l'autrice passe en revue une somme importante de comportements, de drames du quotidien, d'absurdités que chacun de nous peut constater ou entendre. le Cri n° 74 concernant les ronds-points est un modèle du genre.
Christina Mirjol, découverte avec plaisir dans Un homme, sait mettre en forme tout ce qu'elle observe et imagine ; elle articule ces cris déchirant le silence ou se contentant d'assumer leur réalité avec force.
Bien sûr, un écrivain revient régulièrement comme ce chien ou ce paillasson – pas de comparaison hasardeuse, s'il vous plaît ! – ce paillasson source de bien des conflits mais j'aurais préféré plus de liant, même si je sens sourdre régulièrement ce réalisme terrible que ces Cris mettent à jour. Je pense en particulier à cette petite fille qui doit faire 20 kilomètres à pied pour aller chercher de l'eau au puits (Cri n° 8).
C'est un véritable monde de l'absurde que l'autrice révèle et pourtant, chacun de nous peut avoir assisté à certaines scènes. Cela peut être du théâtre car certains dialogues sont surréalistes, accompagnés de didascalies.
Les tranches de vie qui se succèdent peuvent être tragiques ou comiques, révélant le summum de l'incompréhension dans certains couples avec cette jalousie toujours sous-jacente.
De plus, Christina Mirjol sait jouer avec les mots. Cela peut être désopilant comme dans ce Cri n° 71 où la femme d'un mari rencontre la femme d'un autre. Les voilà qui comparent la toux de l'un et les éternuements de l'autre…
Le Cri n° 76 est court et réussi lorsque le vocabulaire de l'informatique pousse aux cris de l'incompréhension. Bien sûr, l'humour noir est présent et le portrait ornant la couverture, repris en noir et blanc à la page 174, signé Jacques Cauda, colle bien à ce nouvel inventaire des Cris.
Ce peut être à l'occasion surréaliste, à la limite du fantastique, avec des enchaînements parfois difficiles à comprendre. Quant au Cri n° 122, c'est à moi qu'il fait pousser un cri d'horreur à cause de cette mère et de sa fille de quinze mois qu'elle confie à la marée… comble du désespoir. La folie n'est jamais loin ; l'esprit très agité de cet homme dans un train en est bien la preuve.
Christina Mirjol, avec talent, donne aussi la parole à ces gens qui déballent leur savoir, étalent leur suffisance mais elle touche à l'excellence dans le Cri n° 192 ; un texte magnifiquement réaliste fait vivre un enfant qui s'émancipe, qui se dégage de la protection de sa mère, qui grandit. le texte dépouillé, à l'os, comme on dit aujourd'hui, est d'une efficacité impressionnante, tout en poussant l'émotion au maximum.
Enfin, Les Cris. Nouvel inventaire, se terminent par ce Cri n° 199 qui résume bien l'ensemble : « Oh ! vous savez, ça ne s'arrange pas, non non, ça ne s'arrange pas du tout… Nous, maintenant, c'est pas compliqué, on a peur de vivre ! »
Je remercie chaleureusement Christina Mirjol pour cette expérience littéraire hors nomes, d'une originalité bouleversante, qu'elle m'a permis de vivre en me confiant Les Cris. Nouvel inventaire.

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La collectionneuse de cris et ses tranches de vie saisissantes !
199 cris, soit 200-1, celui qui surgit en refermant le livre, dans la gorge nouée du lecteur spectateur (impuissant ?).

Le théâtre et la théâtralité occupent une place importante dans la vie et l'oeuvre de Christina Mirjol que je remercie de m'avoir confié son nouveau livre.

Matériellement, c'est très « appétissant » : une couverture élégante et fort à propos qui reprend une peinture de Jacques Cauda, un format agréable à manipuler et une mise en page très aérée.

Sur son site internet, cette admirable femme de lettres a mentionné :
« Les Cris est un ensemble polyphonique numéroté qui se compose de quatre-vingt-dix-neuf fragments. C'est une série ouverte, susceptible à tout moment d'accueillir d'autres “numéros”. Certains nouveaux fragments ont été publiés dans diverses revues et certains autres sont inédits. Il en existe actuellement plus de deux cents. »

Sur mon exemplaire dédicacé, ses cris sont qualifiés de « fragments de voix à lire et à entendre », avec cette importante polysémie du verbe entendre.

J'en sors de nouveau éblouie par le style de Christina Mirjol, qui sait aussi bien mener une réflexion sur la guerre ou/et la condition de l'écrivain, pour ne mentionner que deux des nombreux thèmes présents.
Son sens de la concision est remarquable, comme dans le cri n° 91.
Des portraits forts se tissent de cri en cri et tentent de nous convaincre de joindre notre voix personnelle.
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Christina Mirjol vient de publier fin 2023 Les cris Nouvel inventaire, qui ajoute à un premier texte, Les cris, comportant quatre-vingt-dix-neuf fragments numérotés, une centaine de nouveaux fragments. Ce livre est constitué donc de cent-quatre-vingt-dix-neuf cris, des cris variés, des cris doux, d'autres plus violents, des cris que l'on n'entend pas parfois ou qu'on ne veut pas entendre, une multitude de cris.
Toutes sortes de cris se font ainsi entendre dans ce recueil, des cris que nous pouvons entendre dans notre sphère proche ou dans la rue, des cris entendus ou imaginés, des cris d'animaux ou même celui des arbres et de leurs branches lorsqu'ils sont abattus, et le cri d'effroi de la forêt qui en découle, en les voyant s'effondrer…
Certains sont déchirants, pas forcément par leur volume mais par l'intensité de ce qu'ils suggèrent, ainsi le cri 151 des enfants du monde tout en retenue mais tellement puissant ou le suivant, ce cri de peur des étrangers, cri d'anticipation, hélas bien actuel…Un cri très fort m'a bouleversée, celui du soldat.
Ce sont des cris d'indignation, des cris de peur, des cris d'incompréhension souvent, des cris brefs mais qui, souvent, dévoilent des situations de longue durée et des pans de vie entiers.
Dans tous ces fragments, Christina Mirjol allie avec talent l'absurde et l'humour dans une forme de poésie fort originale et personnelle.
Je me suis régalée et ai vraiment ri (et pourtant…) avec le cri 49 dans lequel Gérard perd de plus en plus souvent des mots, et n'ai pu m'empêcher de penser au style du grand Raymond Devos.
Des cris, des cris, mais aussi parfois un silence assourdissant plus fort qu'un cri, un silence de peur consécutif à un bruit explosif, un mutisme épouvanté qui s'établit quand la force publique vient chercher une enfant de sept ans…
Pour apprécier pleinement tout ce cortège de clameurs, pour pouvoir bien les entendre et qu'elles ne soient pas étouffées par leur nombre, je les ai dégustées par petites touches afin de les savourer à leur juste valeur. Il faut en effet prendre son temps si l'on veut mieux pénétrer ce théâtre de l'absurde et entrer dans l'intimité de ces êtres errants sans repère avec leur difficulté à communiquer ou leurs rêves ésotériques.
Tous ces fragments de vie, ces éclats de voix parfois imaginaires attendent, j'imagine, avec impatience, de prendre leur envol, et d'être incarnés sur scène par des voix tout aussi talentueuses que la plume de l'autrice l'a été pour les coucher sur le papier.
J'avais eu le privilège de découvrir Un homme, le dernier roman de cette brillante autrice de romans, de nouvelles et de pièces pour le théâtre et j'ai retrouvé dans Les cris, nouvel inventaire, malgré la différence de forme dans l'écriture, un style assez similaire à la fois théâtral et poétique, où tragédie et comédie cohabitent.
À noter la magnifique peinture toute en pastel de la couverture signée Jacques Cauda, créateur d'un nouveau courant pictural, le mouvement surfiguratif, à mi-chemin du visible et de l'invisible, ce peintre dirigeant par ailleurs la collection La Bleu-Turquin des éditions Douro, éditrice de ce récit-théâtre Les cris, nouvel inventaire. Cette oeuvre est à mon sens en parfaite adéquation avec l'écriture de Christina Mirjol et c'est une excellente idée de l'avoir reproduite en noir et blanc pour marquer le passage au centième cri.
Les cris. Nouvel inventaire est un roman sensoriel de l'absurde hors-catégories !
Un grand merci à Christina Mirjol pour m'avoir réitéré sa confiance.
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Christina Mirjol, avec un sens appuyé de la mise en scène, a réussi une expérience très originale : au tamis de sa sensibilité et de son sens aigu de l'observation, au tamis de son art de la concision et de la fulgurance, l'auteure a fait collection de cris.
Une multitude de cris, depuis les cris les plus doux jusqu'aux plus violents, les cris les plus silencieux au plus assourdissants, les cris les plus évidents jusqu'aux plus indicibles, les cris les plus contemporains aux plus ancestraux, les cris les plus réalistes aux plus absurdes. Son tamis, large et ambitieux, aux mailles en fibres de réalisme, de neutralité, de lucidité, de burlesque et d'humour, mailles bien resserrées, permet de capter ces invisibles et frétillants cris intérieurs.

Des cris numérotés, épinglés, non pas décortiqués, mais pudiquement exposés en bonne entomologiste qui sait préserver la douceur et le brillant d'une carapace. le cri derrière l'apparence de vie, le cri finement observé derrière des scènes de la vie quotidienne d'apparence ordinaire, scènes qu'un des personnages, « l'auteur », vient parfois expliciter pour mieux nous faire sentir la mise en scène qui régit toute vie en société la transformant en absurde mascarade.

Différences intergénérationnelles, lassitude et perte de sens au travail, surconsommation, jalousie, place de l'artiste dans le couple, sens de la vie, crime perpétré, commérages incessants, racisme et peur des étrangers, voilà pêle-mêle, entre autres, les scènes qui se suivent et ne se ressemblent pas, rendant la lecture curieuse et excitante, un peu comme si nous passions avec une certaine fascination, mais non un certain malaise, d'un scarabée vert doré à une mygale noire, d'une planche à une autre, d'un cri inoffensif à un cri percutant sans crier gare, même si souvent deux ou trois cris d'affilés forment une trame narrative…

Prenons le cri n°44. C'est une mygale. Aux poils urticants. Effrayante.

« Un oeil
Noir. Accroupi. Vrac. Lac. Torche. Gémissements, on dirait. Corps. Derrière les griffes acérées du taillis, noirceur. Noirceur dehors. Noirceur dedans. Noirceur enfin qui se dissipe à force et révèle en surface la pâleur de l'étang. Glissement et retour. Dix secondes à peu près puis une ombre. Tremblement du buisson. du lac. Jambes. Deux. Quatre. Dos. Heurtant le champ puis l'autre. Dos immenses. Bras. Attelés à un tas. Une traînée sur le sable, on dirait. Un corps. Qui ressemble…
Mais non ! …
Un pied pendant. Une chaussure pendante. Une boucle pendante. du tissu accroché. Une manche. Pendante. Sale. Effilochée. Des bras. Une main, on dirait. Bleue. Qui ressemble…
Mais non ! …
Mollement refermée. Presque morte. du sable entre les doigts. Petits. Qui ressemblent…
Mais non ! …
SI ! Les doigts !
SES DOIGTS !
Ma mère !
Allongée dans un drap. Qu'on tire. Un sac. Pas de robe, on dirait. Empaquetée. Flasque. Ses doigts ! Ses doigts qui sortent…Ma mère !...Trainée. Poussée. Jetée comme une ordure. Noyée. Que l'eau galcée ranime. Qui sort sa tête, ses bras, explose en l'air sous quatre pattes dessus. Ma mère ! Qu'on frappe ! Des spasmes. Des soubresauts
UN CRI !
Un cri, ma mère, un cri…
HOUOUOUOUOU !
Puis des ronds…
Puis des ronds…
Puis des ronds… »

Le cri 43 et le cri 45 sont liés à ce cri 44. le 43 montrant les auteurs de ce crime. le 45, les conséquences de cette scène sur le petit garçon en question qui raconte…Trois scènes, trois cris…nous laissant bouche bée…Pour enchainer sur une boucle de cris totalement différente. Les cris ainsi se chevauchent, se superposent…Passant des araignées aux coléoptères. de la noirceur à un gris clair, voire à une forme de poésie.

« le bûcheron
Il était vieux. Alors, je l'ai cogné. J'ai cogné, j'ai cogné et parce qu'il résistait, je l'ai cogné encore. Je l'ai cogné longtemps. Jusqu'à ce qu'il tombe. Sa sève coulait à flots sur ma lame comme du sang. Éclaboussait mes manches. Et quand il est tombé, l'arbre, son grincement nerveux m'est entré dans l'âme. C'est un cri, j'ai compris, qui ne vient pas du tronc mais vient droit de la cime ».


Mais surtout ils laissent place par moment à des situations absurdes desquelles les cris sont les plus invisibles, les plus refoulées mais pourtant les plus angoissants. Ce sont ces cris qui m'ont le plus touchée. D'ailleurs ce sont des scènes d'où l'auteure parvient à nous faire ressentir l'indicible. Vous savez, par exemple, quand la conversation n'a pas de sens, une personne inconnue nous parle , disons dans un bus, vous êtes assis à côté d'elle, elle vous interpelle sur le temps qu'il fait, sur les jeunes d'aujourd'hui, sur les élections européennes et ce qu'elle a l'intention de voter pour redresser tout ça, cette conversation n'a pas de sens, elle est pétrie de clichés ressassés, et la personne parle, ad nauséeum, et vous, vous faites semblant d'écouter, sourire figé et poli aux lèvres alors que ce soliloque vous écoeure, et vous vous dégoûtez même de ne pas fuir, de ne pas laisser libre cours à votre colère. Vous ne faites rien et votre attitude, silencieuse, semble ainsi consentir à ce flot intempestif. Cri intérieur. Cri refoulé. Cri écrasé. Ne sommes-nous pas tous et tout le temps que des cris ?

Cet indicible que l'auteure parvient à nous faire ressentir m'a un peu fait penser aux tropismes d'une Nathalie Sarraute, ces mouvements intérieurs qui effleurent la conscience. Nathalie Sarraute, dans Tropismes, nous présentait vingt-quatre fulgurances, vingt-quatre sensations que nous touchons parfois du doigt sans pouvoir les nommer et les décrire, telle de l'eau que nous voudrions attraper avec nos poings. Il y avait des cris également dans cette oeuvre, des cris refoulés. Des malaises, des sensations diffuses. Ici Christina Marjol nous donne à voir une centaine de fragments, complémentaires à son inventaire précédent « Les cris », paru en 1999, constituant une oeuvre originale et singulière permettant au lecteur de découvrir quelque chose qui a été rarement éprouvé et exprimé, rarement écrit et interprété. En cela, cette lecture est marquante. Elle vibre en nous : il y a forcément des cris que nous avons déjà hurlés ou refoulés parmi cet inventaire. Des situations tragiques que nous frémissons de vivre. Des scènes absurdes que nous avons traversées. Comme l'écrit d'ailleurs Christine Mirjol, ces cris « ressemblent à ceux que nous pouvons entendre à deux pas de chez nous, dans la rue, ou dans les profondeurs de notre imaginaire : le boucher, le bûcheron, un flic, un juge, un voisin sans histoire, deux collectionneurs, l'homme perdu ».

Cette oeuvre, dans sa facette relative à l'absurde et ses cris invisibles sous-jacents, me fait également penser à Beckett, aux personnages et à l'univers de Beckett, l'absurde incarné par le paillasson qui apparait tout au long du livre à l'image de la canne de Malone. L'innommable est cri existentiel. Un cri à la Munch que nous avons tous en nous. le cri primordial. Tel est l'objet profond de cet inventaire de cris.

Cette collection assez sombre est heureusement rehaussée par quelques couleurs, Christina ayant réussi à épingler les plus beaux papillons, certains cris ont en effet un humour irrésistible, tel ce cri n°98 : « Une vache : Je ne regrette rien, l'herbe n'était même pas bonne ». Parfois proche de l'humour d'un Devos, loufoque, tel ce cri n°49 qui joue délicieusement avec les mots, ce personnage, Gérard, ne trouvant plus ses mots : « …Quelqu'un me dit un jour : Quand tu ne trouveras pas Selle, pense au sel et par déduction tu trouveras la selle, c'est forcé. Mais quand je ne trouve pas Selle, je ne pense jamais au sel. Jamais. Hier je n'ai pas trouvé Chaussette pendant vingt minutes et tout d'un coup, je ne sais pas pourquoi, j'ai pensé au sel. Là, par déduction m'est venue la selle, c'est un fait, mais ce n'était pas Selle que je cherchais, c'est Chaussette… ».

Christina Mirjol, chasseuse et collectionneuse de cris, nous offre une expérience de littérature singulière, bouleversante, à déguster lentement pour mieux en ressentir toutes les vibrations, les digérer, les tenir à distance pour ne pas être assourdis par ce défilé étourdissant et intense de sonorités.
A noter l'objet livre qui résume à lui seul son contenu avec sa couverture littéralement duveteuse et sa mise en page aérée, contrastant avec la peinture de Jacques Cauda nous offrant cette bouche tragique ouverte sur un cri et cet écho en vibration tout autour…

J'avais découvert Christina Marjol en tant que romancière, avec son superbe roman Un homme. Je plonge également de temps à autre dans ses Petits gouffres qui sont sur ma table de chevet, je ne la connaissais pas en tant que auteure de théâtre. Il me plairait vraiment d'assister à l'incarnation de ces voix sur une scène de théâtre. Tout au long de la lecture, j'imaginais les scènes, ce théâtre contemporain proche de celui de Beckett déjà cité mais aussi proche d'un Jon Fosse par son épure et son originalité, son étrangeté. Assurément une auteure prolixe et originale qui a plusieurs cordes à son arc, qui sait allier avec virtuosité tragédie et comédie, pour notre plus grand plaisir…à en lancer un cri de satisfaction dans cette littérature qui sort trop rarement des sentiers battus !


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"Une vache : Je ne regrette rien, l'herbe n'était même pas bonne."
(Cri n°98)

Une lecture réellement irréelle.
Non ! Plutôt réelle ?
Non, non plus.
C'est évident que ce n'est pas si évident, n'est-ce pas ? Ou pas ? le mot "réalité" doit être l'un des plus usités dans toutes les langues du monde. On croit tous savoir ce qu'il veut dire, mais quand nos réalités respectives entrent en conflit, souvent, on crie. Parfois intérieurement, ou sans même le savoir.
Les "cris" de Christina Mirjol ne sont pas forcément des exclamations de rage ou de douleur (quoique...), plutôt des situations où nos réalités se frôlent sans se rencontrer. Les mots en cages numérotées, les cris sans échos, et parfois aussi - vous verrez ! - des échos sans cris, qui pointent les situations du quotidien. Est-ce qu'une situation du quotidien vue en dehors de son contexte devient absurde, pour le spectateur ? Voilà la question...

J'ai longtemps réfléchi à quel autre écrivain me font penser ces textes de longueur variable, classés dans un livre à la couverture inhabituellement plaisante au toucher... et tout en tripotant distraitement la douceur suédine, je me suis souvenue de Daniil Harms, cet enfant terrible de la littérature russe. Ses textes vous feront rire, mais avec un frisson désagréable dans le dos : oui, ça a l'air drôle, mais quelque chose ne va pas ! C'est la même chose avec "Les cris" ; ils laissent le lecteur les interpréter par lui-même, ce qui est un agréable rafraîchissement par rapport aux histoires en kit livrées avec un mode d'emploi. Ils nécessitent un peu de concentration, comme si vous suiviez un sketch ou une mini-pièce de théâtre absurde.
J'ai vu parfois cité "En attendant Godot", en rapport avec ce recueil... pourquoi pas.
Vous lisez donc "Les cris" (ou Beckett, Havel, Pinter... peu importe) pendant votre pause du midi, autour de vous les conversations vont bon train, et tout d'un coup elles commencent à se superposer avec les mots dans le livre. Les mots pareillement insignifiants, futiles et sans importance, pour tromper l'ennui. Vous vous sentez subitement comme un protagoniste du livre... Tout se mélange, l'un raconte quelque chose, l'autre fait semblant d'écouter mais ne l'écoute pas, ce qui ne l'empêche pas de répondre. C'est à la fois grotesque et tragique.
On apprend sur la quatrième de couverture que certains de ces textes étaient effectivement adaptés pour la scène, et je n'arrive pas à imaginer comment j'aurais réagi. C'est assez angoissant, somme toute, quand vous ne savez pas s'il faut en rire ou en pleurer ; même en ce qui concerne ce génial leitmotiv de l'homme au paillasson qui chemine entre les textes.
Et pourquoi, grands dieux, on qualifiait alors ce théâtre d'"absurde" ?, vais-je me demander probablement le jour de mon 126ème anniversaire.

"Une imbécile [du siècle dernier] : Je suis larguée, je ne comprends pas, ils parlent avec des mots. Ils disent : ECHAPPE. Ils disent MENU. RENTRER. SORTIR. Ca veut dire quoi ? Ils disent : SORS DU MENU. RENTRE DANS LE FICHIER. FAIS ECHAPPE. Je ne comprends pas."

Pour le peu que j'ai pu lire de Christina Mirjol, le cri semble être une métaphore qu'on trouve souvent dans ses livres. Un "cri" comme une situation qu'on voit partout autour de nous, qui est là dès le matin au réveil, jusqu'au soir quand on regarde les infos à la télé avant d'aller au lit. le cri est un memento, le dernier stade d'un visage humain, qu'on a pris l'habitude de banaliser... D'où ce livre tragicomique. Son absurdité n'est pas une absurdité pour elle-même, elle exprime quelque chose de triste et d'insaisissable - les sensations d'impuissance, d'ennui ou de détresse - qui font partie de nos vies à nous tous.
Mention spéciale pour l'élégante construction du livre : les textes à la première vue indépendants se chevauchent, se complètent, se répètent (d'un autre point de vue) et le personnage de "l'écrivain" entre parfois en jeu, pour y mettre son grain de sel. Leur nombre, 199, insinue peut-être qu'on n'a pas fini de crier, et donne envie d'arrondir le compte par votre propre contribution.
4,5/5. Un inventaire sonore que j'ai découvert avec curiosité et plaisir, merci Christina !
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Citations et extraits (23) Voir plus Ajouter une citation
Je veux bien qu’on m’enterre, je veux bien, mais pas trop profond, pas trop. Pas trop profond, je veux, et je veux autour de moi des murs en béton. Pas de terre dedans. Pas de terre. Du béton autour et de l’air. Et que ce soit carré. Surtout pas un couloir. Une chambre. Une chambre carrée, pas un couloir avec du noir au bout. Un carré. Du béton. Une chambre avec de l’air autour. Et puis, je veux bien sur ma tombe une pierre, mais avec un regard. Pas une pierre scellée. Pas scellée. Une pierre pas scellée. Un regard aussi, un regard à l’endroit des yeux sur la pierre. Une pierre pas scellée. Avec un regard. Et qui laisse passer la lumière.
(page 129)
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Cri n° 69
Une institutrice
Je le répète pour la Nième fois, on ne meurt qu’une fois. Il y en a combien qui ont écrit mouRRir avec deux R ? Levez le doigt ! Combien de fois l’ai-je répété ? Un R, un seul R, on ne meuRt qu’une fois !
(page 138)
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Quel besoin tu as de T’HABITUER ?… Oublie !... Les heures ne se suivent plus, tu n’as pas compris ça ?... Elles se remplacent !... Plus rien ne s’ajoute à rien, tu n’as pas compris ça ? On n’a pas le temps de s’habituer. Oublie ça !... L’habitude, ça n’existe plus !
(page 87)
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J’arrive d’un pays où il n’y a pas d’eau. L’eau est si rare qu’on doit marcher parfois jusqu’à vingt kilomètres. Quand les puits sont à sec, il faut marcher. Le père donne un seau à sa petite fille et dit : Va chercher l’eau au puits.
Le petit garçon est à l’école. La mère pile le mil. La petite fille prend le seau vide et disparaît au bout de la piste. Elle marche.
(page 21)
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Une présence occupée n'importune personne. Il n'y a rien de plus naturel qu'une présence occupée. Mais une présence inoccupée ? Comment la regarder ? Personne n'est habitué.
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