Quelle est
la famille malheureuse dont il est question dans ce quatrième roman publiée en français de
Sara Mesa ?
(Je vais droit au but en vous épargnant la citation de Tolstoï de rigueur).
Une famille isolée sous le joug d'un père autoritaire, obsessionnel et tyrannique avec de bonnes intentions en apparence et une mère effacée, frustrée, apeurée, qui se soumet à la loi et aux desseins paternels. La fratrie se compose de Damián, l'aîné, en surpoids, mal dans sa peau, qui peine à trouver grâce aux yeux de son père, et prend très tôt conscience qu'il ne sera jamais ce que ses parents attendent de lui, Rosa, moins soumise, Aquilino, le petit dernier, le plus vif et le plus futé, seul à arriver à s'affirmer et à composer avec la tyrannie paternelle, et enfin Martina, cousine adoptée, orpheline à l'âge de 8 ans, qui les regarde de l'extérieur.
Damián père, figure patriarcale rigide, glaçante, a conçu sa famille comme un « projet ». C'est un homme aux idées fixes obsédé par la droiture et Gandhi.
Raconté du point de vue des différents membres de
la famille, la construction temporelle du roman n'est pas linéaire et couvre plusieurs décennies, avec sauts dans le temps. La structure, intelligente, donne de la densité et de l'épaisseur à ce récit fragmentée.
Avec une économie de moyens et une grande habileté, elle nous fait ressentir l'oppression quotidienne des membres de
la famille, l'atmosphère de terreur, dénonçant les abus de pouvoir et ce qui a traditionnellement soutenu l'institution familiale : l'autoritarisme patriarcal. La scène inaugurale est glaçante et instille un malaise qui ne quittera pas le lecteur. Martina se voit sommée par son « père » de ne pas fermer à clé son journal intime. Car « il n'y a pas de secrets dans cette famille! ». Elle devra l'écrire sous son regard vigilant.
La famille n'est ici qu'un environnement asservissant, inconfortable, claustrophobique et oppressant. Un lieu de violence psychologique sourde et sournoise.
Comment se construire alors? Quelles sont les répercussions d'une telle enfance ? de quoi sommes-nous faits ?
Il n'y a pas de conclusion rassurante avec
Sara Mesa.
L'autrice capture parfaitement des moments de vie et des situations ambiguës ou ambivalentes mais également la terrible solitude de ses personnages.