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Critique de SZRAMOWO


Mission Damas de David McCloskey, un roman de 576 pages à la lecture duquel on ne s'ennuie jamais. Merci à Babelio et aux éditions VERSO de m'avoir adressé cet ouvrage pour préparer la rencontre avec l'auteur.
Ce roman présente plusieurs qualités : la narration, la description du contexte syrien, le relief des personnages, les procédures de sécurisation des déplacements des agents infiltrés, les dilemmes insolubles dans lesquels ils s'enferment ou sont enfermés.
L'auteur, j'adore cette façon de raconter, prend son temps, explique les choses, prend le lecteur par la main pour l'aider à franchir les obstacles qui se dressent devant les personnages du récit et à s'y retrouver dans les dédales de l'histoire.
Les premières lignes plongent dans l'action. Les deux agents de la CIA - Samuel et Val - sous couvert de conseillers diplomatiques, se retrouvent pour une opération d'exfiltration - en plein coeur de Damas - d'une source d'information syrienne qu'ils ont recrutée et semble avoir été découverte. Ça chauffe pour les deux agents, leur sécurité est compromise, leur vie est en jeu…
Mais, de l'autre côté  de l'Atlantique, « (…) il y avait la bureaucratie léthargique de Langley. Il avait demandé un coach pour former Marian aux PDS. Personne n'était disponible. Procter avait pété les plombs et employé le mot « merde en boite » dans le trafic des télégrammes officiels. Elle rappelait qu'ils disposaient d'un atout de première, issu d'un pays de niveau 1, et une conseillère du Palais, qui plus est - (…) »
On découvre dans le récit, les PDS (procédure de sécurisation des déplacements), et leur côté fastidieux mais protecteur. L'entraînement des agents est minutieux et implacable : « Damas serait infernale ; ici, il y aurait des démons. Ils sortirent leurs armes lourdes : des oreillettes cryptées conçus pour ressembler à des AirPods d'Apple, plusieurs Vespa de location, des déguisements, moustaches, fausses bedaines, vêtements et chaussures neufs, nécessaire à maquillage), un microphone presque silencieux (…), équipe de flux d'imagerie thermique en haute définition, de caméras ultra miniaturisées intégrées dans des lunettes de soleil, des sacs de messagerie et des chapeaux connectés à une liaison satellite cryptée (…) une camionnette de livraison (…).
Le but du jeu est de ne jamais se déplacer en ligne droite d'un point A à un point B, mais en empruntant des itinéraires consistant à donner le change à d'éventuels suiveurs et surtout de les démasquer…
Le récit est rendu crédible par cette alternance entre la fièvre perpétuelle des agents sur le terrain et l'obsession de la hiérarchie pour le respect absolu des procédures.
Une déconnexion de plus en plus prégnante entre l'agent devant souvent réagir à l'instinct et la prise en compte de considérations géopolitiques et stratégiques de la part de la CIA souvent en lien avec la Maison Blanche.
« Comme la station de Damas, elle se demandait si cette violation flagrante des bornes de l'inacceptable fixées par le président obligerait la Maison Blanche à réagir. Elle en doutait, mais qu'est-ce qu'elle en savait ? Pour le moment, elle se démenait juste pour obtenir le paiement de ses heures supplémentaires. (…) le conseiller à la Sécurité nationale (…) convoquerait le groupe de travail sur la Syrie (…) pour discuter, une fois de plus, des mesures de force létales à prendre contre Ali Hassan et des complots d'armes chimiques émanant de Damas.»
(Ça rappelle furieusement l'épisode d'août 2013 et le recul de Barack Obama sur le respect par la Syrie des lignes rouges qu'il avait pourtant lui-même fixées.)
Le contexte syrien est explosif, la guerre civile larvée et permanente s'est substitué à l'espoir qu'avait suscité en 2011 la vague des printemps arabes.
Les soutiens du président Hafez el-Assad, ont des motivations diverses voire antagonistes où se mêlent l'appât du gain, la recherche de pouvoir, la peur de voir sa famille menacée voire jetée en prison et torturée. La loyauté, la volonté de servir l'état ou la passion du pays ont peu à voir dans ces motivations.
Les oppositions à la présidence d'Assad font peu de cas de ceux qui la subissent, au quotidien, sont coupés de toutes les ressources et se battent tous les jours pour survivre. Les rebelles sur place et les opposants en exil vivent deux réalité différentes.
Chacun des personnages est mis en scène dans ce contexte ou le mensonge est la règle, où la morale consiste à ne pas avoir de morale, où sauver sa peau à tout prix reste le seul point commun, où même la religion n'est pas un recours.
« Dieu n'est plus en Syrie, Razan, au cas où tu ne l'aurais pas remarqué. Ill nous a abandonnés, livrés au chaos. Il n'y a rien d'autre à faire que de courber l'échine et de survivre. Et si tu dois faire intervenir Dieu, à quoi bon rejoindre l'opposition, hein ? Tu veux les aider à introduire leur Allah djihadistes assoiffé de sang dans notre pays pour qu'ils nous tuent tous? »
Un roman magistral, beaucoup plus qu'un simple thriller. Il montre avec réalisme le chemin étroit dans lequel les pays occidentaux se sont enfermés face aux dictatures alors qu'ils sont (mais je suis peut-être naïf) supposé défendre la démocratie…
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