Un soir, on se couche à côté d'une personne que l'on croit connaître. On fait l'amour avec elle, on s'endort dans ses bras. Et le lendemain, on se réveille seule, dans un lit froid, cette personne n'est plus là. Elle s'est volatilisée, sans laisser de traces. De son propre chef.
On n'est pas veuve d'un disparu.
On est la femme du disparu.
C’est étrange d’être heureux. Quand on s’y attend le moins. Quand on en crève, persuadé que c’est pour les autres, parce que l’on a tout raté. On ne sait pas comment le gérer, comment le recueillir. Alors on en profite, parce que c’est déroutant de réaliser qu’à quarante-cinq ans cela nous est si peu arrivé.
J’avais toujours rêvé de vivre dans la routine. Je savais que certains la craignaient plus que tout, la trouvaient monstrueuse, destructrice d’amour et de désir, moi, j’étais convaincu du contraire, je l’attendais, l’espérais.
On appelle un mort disparu. C’est faux, un mort ne disparaît pas
On appelle un mort un disparu.
C’est faux.
Un mort ne disparaît pas. Un mort n’est plus en vie, la nuance peut paraître subtile, mais elle est bien réelle. Sept ans que j’y réfléchissais chaque seconde, chaque minute, chaque heure, chaque jour, chaque nuit… Un mort, quand on a de la chance - si tant est que l’on puisse parler de chance dans ce cas -, on peut lui dire au revoir, l’accompagner dans ses derniers instants. Un mort laisse un corps, certes froid et le cœur éteint, mais un corps tout de même. On peut l’étreindre une dernière fois, lui parler, lui crier notre colère de nous avoir laissés et croire que quelque part il nous entend. Un mort ne trahit pas. Un mort, on l’enterre, on l’incinère, on sait où il repose, où sont ses cendres. On peut même lui rendre visite. Un mort existe, et laisse une empreinte, une trace de son passage sur terre.
Un disparu. Non.
Un disparu, c’est comme s’il n’avait pas existé. Comme si son existence était fantasmée, n’avait jamais été réelle. Un disparu devient une chimère. Un être mythologique.
Un disparu, on ne sait plus rien de lui. On ne sait pas où il est, ce qu’il fait, avec qui il est. L’absence d’un disparu vous fera toujours sursauter au moindre claquement de porte. Un disparu vous impose le qui-vive par son absence. On ne saura jamais s’il est encore vivant, ou s’il est mort. Il n’y aura jamais personne pour vous le dire.
J'accueillis avec soulagement les prémices de ma perte de conscience, j'arrêterais bientôt de penser. Après tout, je ne laissais personne. Peu de gens me pleureraient. C'est bien pour cette raison que rien ne me bousculait, que rien ne m'incitait à m'accrocher à un détail me permettant de ne plus tanguer. J'espérais simplement que si on me retrouvait, quelqu'un aurait l'idée de disperser mes cendres en mer.
L’amour est vraiment un sentiment étrange. Il se décuple, se démultiplie, il naît sans que l’on en ait conscience et sa réalité vous percute.
Je crois que je pouvais compter sur la responsable de ma colère et de ma fatigue, elle n’était pas loin ; ma mort lui viendrait nécessairement aux oreilles, elle serait triste, mais ça ne durerait pas longtemps, elle ferait uniquement ce qu’il fallait. Une autre vie l’attendait. Elle avait trouvé le moyen de rester hors de l’eau, elle. Moi pas. Elle laisserait quelque chose sur terre. Moi non. Aucune empreinte. Aucun orphelin.
(Page 13)
Doit-on, lorsque l’on est maman, se trouver en manque de mots face à la souffrance de ses enfants? Toutes les mamans étaient-elles condamnées à assister au chagrin de leurs petits, peu importe leur âge, impuissantes et dépourvues de ce pouvoir magique maternel que l’on croyait invincible?
C'est étrange d'être heureux. Quand on s'y attend le moins. Quand on en crève, persuadé que c'est pour les autres, parce que l'on a tout raté. On ne sait pas comment le gérer, comment le recueillir. Alors on en profite, parce que c'est déroutant de réaliser qu'à quarante-cinq ans cela nous est si peu arrivé.