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EAN : 9782864328056
190 pages
Verdier (20/08/2015)
3.77/5   13 notes
Résumé :
D’énigmatiques annotations au dos de photos défraîchies d’aïeuls oubliés, des souvenirs disparates et diffus, la saga d’un théâtre ambulant, un petit hameau perdu au coeur d’une campagne ingrate et inhospitalière, deux vieilles femmes, des filles et des garçons, un bureau, un grenier, un side-car, des tractions avant et des Fiat 500, une tribu de Ritals, un enterrement, de l’alcool et des drogues, toute l’immensité des détresses enfantines, des moments de grâce, des... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (6) Voir plus Ajouter une critique
En une seule phrase, le rayonnement étincelant des souvenirs fugitifs.

Entrant dans le monde souterrain des souvenirs, Christophe Manon dévide en une phrase somptueuse, une suite discontinue de souvenirs ou de fictions, qui s'enchaînent dans le flux d'un récit interrompu d'une scène à l'autre par décrochement, par un mot qui se brise en une déroute fugace, reflet de «l'invariable, violente et transitoire précarité de la vie humaine».

Décryptant, déchiffrant des photographies fanées et éparpillées, traquant les documents, les traces et les souvenirs pour évoquer ceux qui l'ont précédé, cette famille de forains et d'acteurs, ce clan de saltimbanques ambulants qui sillonnaient les campagnes avec leur théâtre mobile, cette paysanne éternellement vieille, «comme si elle était dispensée de la mort par décret divin», évoquant une vieille ferme encombrée d'un fatras d'objets, des soirées de méthodique alcoolisation et des scènes de sexe étincelantes, le texte de Christophe Manon se fixe sur des images puis dérive, ressassant le désir, la fragilité des vies soumises au passage du temps et la lumière éclatante de l'instant.

«quatre six huit bras dix jambes douze bouches une infinité de langues, mais un seul et unique sexe comme un noyau central autour duquel elle semble en permanence se désunir puis se réorganiser, s'agitant avec un enthousiasme forcené et hystérique sans pour autant se laisser posséder, n'accordant pas le moindre instant de répit à son partenaire, comme prise de folie, saisie par un délire impétueux pousse jusqu'à l'extrême exaltation, proprement ravie à elle-même et par conséquent ne pouvant décidément pas se soucier de lui, c'est-à-dire qu'elle ne lui prête qu'une attention souveraine et injonctive, sans se préoccuper nullement de ses désirs éventuels, comme concentrée sur la seule satisfaction égoïste de ses propres pulsions, toute entière tendue vers l'assouvissement impérieux de ses appétits et parfaitement déterminée à y parvenir quels que soient les moyens mis en oeuvre : ne lui prodiguant aucune caresse, ne lui donnant aucun baiser, allant jusqu'à détourner la tête lorsqu'il cherche ses lèvres, agissant avec lui comme s'il n'était qu'un objet dépourvu de raison au service exclusif de ses besoins personnels, le jouet de sa domination à la fois ironique, subtile et perverse…»

Miroir de l'indécidable condition humaine et de ses oscillations, la soirée silencieuse dans la ferme où le feu agonise, succède à une scène nocturne et brûlante, en un fondu au noir sur le fil d'un mot, haché en son centre comme le flux de la pensée et de la mémoire.

«et s'efforcer désespérément d'ou
blier ses douleurs physiques, non pas menue ni maigre ni malingre mais littéralement desséchée, ratatinée, rabougrie, aussi légère, sèche et frêle qu'un moineau, comme rétrécie par quelque opération magique, quelque rite occulte ou quelque procédé scientifique issu du cerveau génial d'un savant fou, donnant l'impression d'être susceptible de s'envoler au moindre coup de vent, mais pourtant bien solide, inébranlable, immuable, inaltérable, la peau de son visage et de son cou plissée par d'innombrables rides comme celle d'une tortue, et en même temps infiniment douce et délicate, si vieille qu'elle pourrait avoir n'importe quel âge entre cent ans et un million d'années, semblant affranchie de la mort, comme un anachronisme issu d'une époque antique et révolue…»

Collectant des informations sur ceux qui nous ont précédés sur terre, sur des «petits faits étincelants, bariolés ou sombres», Christophe Manon fait revivre les fantômes à jamais inhumés, tirés de l'oubli par la précision magique d'une langue sublimée pour évoquer des terres inhospitalières et des destins anonymes et ingrats, comme dans les «Vies Minuscules» de Pierre Michon.

Soumis au désir ou à la violence, l'homme prend la parole ici dans un langage tronqué, au coeur de ces scènes devenues indéchiffrables, souvenirs insaisissables maintenant enveloppés d'une gangue magnifique de mots, rempart contre le néant malgré les limites et la fragilité du langage.

Paru en septembre 2015 aux éditions Verdier, ce livre de l'écrivain et poète Christophe Manon est un chant éblouissant pour l'homme confronté à la mort, à la fuite inexplicable du temps et au désir.

Christophe Manon sera l'invité de la librairie Charybde (129 rue de Charenton, 75012 Paris) le 15 octobre 2015 à 19 h 30.

Retrouvez cette note de lecture sur mon blog ici :
https://charybde2.wordpress.com/2015/09/27/note-de-lecture-extremes-et-lumineux-christophe-manon/
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Attention, attention!... il n'est pas question ici de déjà-vu, de déjà-lu, de déjà-écrit. Il est question ici de Littérature avec un grand L, d'émotions pures, de l'invention de nouvelles formes littéraires, de dispositifs narratifs inédits et fulgurants, de Poésie avec un grand P. Il ne s'agit pas de lire au sens linéaire du terme un roman "normal", mais de se perdre et d'aimer se perdre dans ce livre.
"Extrêmes et lumineux" de Christophe Manon, c'est un flux de scènes successives, racontées avec des phrases amples qui évitent les points, isolées en des paragraphes compacts, pleines de descriptions frappantes. de la vie capturée à l'état brut.
"Extrêmes et lumineux", cela peut sembler au lecteur d'abord déconcerté comme une série de souvenirs aléatoires fixés, on passe, on glisse de l'un à l'autre comme si dans une même nuit on se laissait glisser vertigineusement de rêve en rêve. le procédé qui permet de passer d'un récit à l'autre est absolument génial: régulièrement au plein milieu d'un mot, la phrase est coupée, le paragraphe interrompu reprend plus loin, le mot se finissant dans une autre histoire. Ces glissements inattendus, généralement à un moment où l'on est bien happé par le récit commencé, provoquent des effets de cadavres exquis, toujours surprenant, bousculant le lecteur pour le faire parfois sourire (une scène d'amour torride cédant la place au portrait d'une vieille grand-mère par exemple...), parfois grommeler (mince, pourquoi quitter ce personnage de manière si intempestive, coïtus interruptus!...),. du coup, c'est une lecture qui vous secoue sans cesse, comme si l'auteur nous disait à chaque fois: "Hé, lecteur, réveille-toi, tu changes d'histoire, tu te perds!" Et moi j'ai adoré me perdre dans cet enchevêtrement de récits télescopés, j'ai adoré chercher à établir des ponts entre ces scènes, car il y a de nombreux fils qui relient tous ces épisodes- et c'est en cela qu'on peut tout de même apparenter ce livre à une espèce de roman.
On se lance sur différentes pistes; il y a le motif du vieux théâtre forain, dont les accessoires sont relégués au musée, il y a beaucoup de vieilles photos exhumées, comme autant de vieux souvenirs de famille qu'on voudrait reconstituer, il y a beaucoup de couples qui font l'amour de façon très sensuelle... le contexte évoqué est plutôt celui de la campagne (et c'est aussi pour cela que ce livre me parle particulièrement, je retrouve ma propre famille dans ces portrait d'aïeux...) et du passé. C'est un livre fragmenté comme une mémoire familiale floue et malmenée, qu'on aimerait pouvoir reconstituer à l'aide de traces éparses, dans lequel on s'enfonce, comme si on s'enfonçait de plus en plus profondément dans les fantasmes, dans l'histoire de quelqu'un, peut-être celle de la famille de l'auteur, ou la vôtre, la nôtre...
Ce livre, cet objet littéraire non identifié, il faut du temps pour le lire, car il faut accepter de se laisser happer par la superbe description d'un baiser par exemple, accepter l'inédit, accepter de se laisser déranger dans sa propre attente de la lecture, surtout quand ce livre vous est présenté comme un "premier roman"... alors que c'est vraiment autre chose. Plus vous avancez, plus vous vous demandez si votre roman se désagrège ou s'il se compose. Un peu comme quand vous avancez dans la vie d'ailleurs, en essayant d'établir vous même la cohérence secrète entre tout ce que vous vivez: vous sentez que cette cohérence existe dans le livre, et elle s'établit à votre insu.
Ces bascules d'un récit à l'autre multiplient cet effet que produit l'ouverture d'un nouveau livre, quand vous ne savez pas où vous allez tomber. Cela m'a aussi évoqué le glissement des doigts que vous faites sur un écran tactile, quand vous balayez un contenu internet d'un mouvement pour en faire apparaître un autre, qui n'a rien à voir... J'ai aimé aussi l'usage de police de texte différente quand on passe à la première personne, ou les trous dans les mots quand ils viennent à manquer.
J'ai été émerveillée par ce livre complexe.
Lien : http://effleurer.une.ombre.o..
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Lecture laborieuse, puisque texte avec très peu de points, coupure au milieu des mots avec interligne. Tantôt en italique, tantôt changement de polices. Ce qui donne l'impression que l'auteur vient de découvrir le traitement de texte. S'arrêter au milieu d'une phrase est inhabituel. L'auteur, qui a mon avis possède un grand sens de l'observation, passe d'une scène à l'autre avec une rare subtilité ce qui fait qu'il promène le lecteur sans qu'il s'en rende compte. Nombreuses scènes de sexe très sensuelles, où j'avais l'impression d'entendre des chansons de Gainsbourg. Scénettes de vie au travers de photographies jaunies. En définitive, bien sur le fonds, pas aimé la forme. Pour ceux qui aiment sortir des sentiers battus.

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Voilà une expérience de lecture comme je n'en avais pas faite depuis longtemps (peut-être jamais...). Au point que je suis incapable d'attribuer un nombre d'étoiles (ce qui m'arrive rarement), de dire si j'ai aimé ou pas... Christophe Manon embarque le lecteur au fil de ses idées, dans une succession de scènes, d'images, de descriptions qui semblent n'avoir aucun lien entre elles... On pense à une comptine enfantine où un mot en entraîne un autre et fait rebondir l'histoire, sauf que c'est plus compliqué. Il faut donc accepter de se perdre. Lâcher prise, ne pas chercher la logique ou à comprendre le fil narratif. Bref, il faut accepter de faire une expérience qui ne ressemble à rien d'autre. Apprécier les mots, les phrases qui s'enchaînent harmonieusement et créent une sorte d'addiction certainement alimentée par la curiosité (mais où nous emmène-t-il ?). Un livre singulier, intrigant, d'une qualité littéraire indéniable. La question étant : faut-il forcément comprendre tout ce qu'on lit ?
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Je suis restée assez imperméable à cet Objet Romanesque Non Identifié. Ces bribes d'histoires qui s'entrecoupent et s'entremêlent me sont devenues assez rapidement lassantes. Les jeux de typographies, les choix de mise en page ont attisé mon intérêt mais je n'ai pas réussi à y trouver un sens, même si l'idée du livre perpétuel est très séduisante. Et la lecture de ces longues descriptions, où la quasi absence de ponctuation empêche toute respiration, m'a été assez pénible.
Un livre où je n'ai pas su pénétrer et qui a gardé, pour moi, un total hermétisme.
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Citations et extraits (5) Ajouter une citation
et s'efforcer désespérément d'ou
blier ses douleurs physiques, non pas menue ni maigre ni malingre mais littéralement desséchée, ratatinée, rabougrie, aussi légère, sèche et frêle qu'un moineau, comme rétrécie par quelque opération magique, quelque rite occulte ou quelque procédé scientifique issu du cerveau génial d'un savant fou, donnant l'impression d'être susceptible de s'envoler au moindre coup de vent, mais pourtant bien solide, inébranlable, immuable, inaltérable, la peau de son visage et de son cou plissée par d'innombrables rides comme celle d'une tortue, et en même temps infiniment douce et délicate, si vieille qu'elle pourrait avoir n'importe quel âge entre cent ans et un million d'années, semblant affranchie de la mort, comme un anachronisme issu d'une époque antique et révolue
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quatre six huit bras dix jambes douze bouches une infinité de langues, mais un seul et unique sexe comme un noyau central autour duquel elle semble en permanence se désunir puis se réorganiser, s'agitant avec un enthousiasme forcené et hystérique sans pour autant se laisser posséder, n'accordant pas le moindre instant de répit à son partenaire, comme prise de folie, saisie par un délire impétueux pousse jusqu'à l'extrême exaltation, proprement ravie à elle-même et par conséquent ne pouvant décidément pas se soucier de lui, c'est-à-dire qu'elle ne lui prête qu'une attention souveraine et injonctive, sans se préoccuper nullement de ses désirs éventuels, comme concentrée sur la seule satisfaction égoïste de ses propres pulsions, toute entière tendue vers l'assouvissement impérieux de ses appétits et parfaitement déterminée à y parvenir quels que soient les moyens mis en oeuvre : ne lui prodiguant aucune caresse, ne lui donnant aucun baiser, allant jusqu'à détourner la tête lorsqu'il cherche ses lèvres, agissant avec lui comme s'il n'était qu'un objet dépourvu de raison au service exclusif de ses besoins personnels, le jouet de sa domination à la fois ironique, subtile et perverse
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puisqu'il faut non pas admettre ni accepter, mais bel et bien recevoir et accueillir, puisqu'il est inéluctable de se soumettre de la sorte à la nécessité et d'y être fidèle, car tout courage est une fidélité et c'est toujours à soi-même qu'on renonce en premier, après cela les autres trahisons deviennent faciles,
eh bien soit, allons, faisons, jouons, interprétons la partition, accomplissons ce qui doit être accompli et dépassons même l'attente, mettons-y plus que les formes requises, mettons-y plus que de l'application, mettons-y de la virtuosité et peut-être un peu de désinvolture, une certaine grâce et pour cela déplaçons l'enjeu,
rebattons les cartes, misons sur d'autres passes, et misons gros, misons plus que nous ne pourrons jamais posséder, que le gain ou la perte soit à la hauteur de tout ce sang, de tout ce temps [...]
en conséquence un souci d'indépendance farouche et vigilant, tentant d'organiser son quotidien dans une sorte d'opposition obstinée comme pour démontrer l'inanité d'une semblable litanie : tu ne feras pas toujours ce que tu veux dans la vie
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puzzle dont il manquerait trop de pièces pour être reconstitué, fresque qu'aucun archéologue n'est en mesure de restaurer, ces scènes perçues comme à travers une brusque déchirure dans les ténèbres de la nuit, déformées par l'éloignement temporel
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Plus ou moins cousin à des degrés divers et frôlant souvent la consanguinité – le nombre de fous, tarés, débiles, alcooliques, dégénérés divers, brutes en tous genres et autre détraqués, ne se comptant plus, faisant pratiquement partie du trousseau familial au même titre que les propriétés immobilières et les titres fonciers que l’on se refile sans vergogne au gré des alliances et des mariages.
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Vidéo de Christophe Manon
Avec Rim Battal, Vanille Bouyagui, Jacques Darras, Guillaume Decourt, Chloé Delaume, Arthur H, Paloma Hermina Hidalgo, Abellatif Laâbi, Christophe Manon, Virginie Poitrasson, Jean Portante, Omar Youssef Souleimane, Milène Tournier… Accompagnés par Lola Malique (violoncelle) et Pierre Demange (percussions)
Cette anthologie du Printemps des Poètes 2024 rassemble 116 poètes contemporains et des textes pour la plupart inédits. Tous partagent notre quotidien autour de la thématique de la grâce. Leurs écrits sont d'une diversité et d'une richesse stimulantes. Ils offrent un large panorama de la poésie francophone de notre époque. Pour en donner un aperçu ce soir, douze poètes en lecture, accompagnés de musique.
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