Tous les tueurs en série qui se respectent gardent précieusement des trophées de leurs différentes victimes afin de se souvenir de leurs actes.
On se souvient de Dexter et de sa collection de lamelles de sang.
On se rappellera dans un futur proche d'Antyryia le sectionneur d'orteils.
Ce sont deux petits joueurs comparé à Ted Bundy qui à décapité quatorze de ses victimes afin de pouvoir jouer à la tête à coiffer, brossant leurs cheveux et les maquillant comme un grand enfant un peu pervers.
"Offrez à votre enfant la Barbie Mattel a relooker. Avec cette tête à coiffer livrée avec une vingtaine d'accessoires, elle pourra jouer aux coiffeuses en herbe en laissant libre cours à son imagination."
Et puis bien sûr, il y a Urizen, un passionné de paupières et de tétons. Il est évoqué pour la première fois dans le roman
Au royaume des cris, second tome de la trilogie des démons de
Mathieu Lecerf.
Urizen, dieu déchu devenu démon dans l'oeuvre de l'artiste et poète britannique
William Blake.
"Urizen s'était manifesté pour la première fois presque trente ans auparavant, au coeur de l'été
1991."
Une dizaine de victimes à son actif tuées en région parisienne, dont les bouts de seins sont cousus comme autant de douces médailles sur un oreiller. Et voilà qu'après dix ans d'inactivité, il est de retour avec un second meurtre consécutif : Celui de Cécilia Lévy, mannequin de son vivant, beaucoup moins jolie dans la mort.
"Anéantir quelque chose de beau."
"Son esprit est tellement détraqué que vous ne pouvez pas le comprendre, et c'est peut-être mieux ainsi."
Ça fait longtemps que les thrillers policiers ont un peu perdu de leur intérêt à mes yeux, en particulier lorsqu'il est question d'une traque de psychopathe complètement taré. C'est le cas ici, et il n'est en outre quasiment pas question d'étudier ses failles psychologiques. Sa mère abusait de lui, ce qui a probablement généré un léger court-circuit. Voir quelques extraits de ses 350 carnets répartis en milliers de feuilles manuscrites laisse à penser qu'il a effectivement un léger grain, mais
Mathieu Lecerf de creuse pas ce côté essentiel dans un roman comme
le tueur intime de
Claire Favan.
Et pourtant,
La mort dans l'âme était un régal.
Je pourrais critiquer les rebondissements totalement improbables qui ne sont là que pour mieux ferrer le lecteur ou donner des explications tirées par les cheveux. Je pourrais dire qu'il y avait peu de chances pour que Koh Lanta soit en cours de diffusion en octobre 2019 alors que l'édition "La guerre des chefs" aux îles Fidji avait commencé le 15 mars 2019. Mais je l'ai lu quasiment d'une traite avec un plaisir que je ne vais pas chercher à dissimuler, et même mettre en avant.
Surtout ne commencez pas par celui-là.
Respectez bien l'ordre de cette trilogie autour de nos deux enquêteurs : Esperanza Dolores et Manny de Almeida, et du journaliste Cristian de Almeida. Ainsi que tous les personnages qui vont graviter autour d'eux tout au long de ces mille pages, comme le hacker Gérald, le commandant Giesbert, le légiste Boissard ou encore la journaliste Camille Devese. Si chaque roman a son intrigue et ses sous-intrigues propres, ils s'enchaînent de façon réfléchie, et pour s'attacher aux personnages il est à mon avis indispensable de les connaître dès le début et non de prendre leur vie en cours de route. Il existe un fil conducteur primordial, qui donne d'ailleurs son titre au premier roman :
La part du démon.
"Mais ils étaient tous habités par le pire des démons."
Une image pour dévoiler la face obscure, la tristesse, les blessures, le besoin de cruauté ou de vengeance qui anime chaque protagoniste, qu'il soit tueur ou flic.
Et puis en commençant par le second ( le moins bon à mon avis ) ou pire,
La mort dans l'âme, vous vous priveriez de tout le suspense présent dans les premiers tomes en connaissant par avance une partie des trames et le nom des grands vilains.
Dans le dernier il est par exemple question du procès du principal assassin de
la part du démon.
Et de toute façon, si vous n'appréciez pas le premier, vous ne serez pas conquis non plus par les suivants.
Pour ma part j'ai été sensible dès le début aux personnages comme au rythme hors normes imposé par l'auteur qui, vraiment, a su redonner un souffle à un genre qui n'en n'avait plus beaucoup selon moi.
Pour toutes ces raisons, afin d'éviter que les futurs lecteurs de
Mathieu Lecerf ne veuillent à leur tour devenir des tueurs en série et me mettre en numéro 1 sur leur tableau de chasse en m'écartelant et en découpant qui plus est une partie ou une autre d'une anatomie à laquelle je tiens malgré tout, je ne peux quasiment pas en dire plus sur ce roman sous peine de trop en dire sur les précédents.
Je peux quand même vous dire que vous en saurez davantage sur le personnage de Cristian et sur ses blessures intimes, ainsi que sur la famille de Almeida dans son ensemble, puisque vous ferez connaissance de Sebastião, le père de Manny et Cris atteint d'un début d'Alzheimer.
Tel
Franck Thilliez avec
Sharko, Hennebelle ou Bellanger,
Mathieu Lecerf n'hésitera à nouveau pas à infliger les pires atrocités à ces personnages qu'il avait pourtant déjà préalablement beaucoup malmenés.
Vous retrouverez également une vieille connaissance de "
Au royaume des cris" que vous aviez peut-être oubliée ...
Alors oui, on peut toujours émettre de petites réserves sur cette tendance à l'exagération, sur l'intérêt hautement philosophique d'une telle oeuvre au-delà de cette part de ténèbres qui nous est commune.
Personnellement je préfère largement m'attarder sur mon envie frénétique de tourner les pages de ce très bon thriller policier qui vient conclure dignement cette trilogie du lauréat du prix Nouvelles Voix du polar 2022, qui n'a pas usurpé son titre !