La Vie
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ALGERIE CATHOLICISME LASSAUSSE JEAN-MARIE MOINE RELIGION TIBEHIRINE
Portrait
Le jardinier de Tibhirine
Anne Guion - publié le 02/09/2010
Vide après l'assassinat des moines, le monastère vit toujours grâce à la fidélité d'un prêtre.
Jean-Marie Lassausse, 51 ans, est notre guide lors d'une visite à Tibhirine avec des lecteurs de la Vie. Comme beaucoup, il n'a appris l'existence du monastère qu'en 1996 après le drame. Pourtant, on jurerait qu'il y a passé sa vie. Il y a quelque chose entre lui et ces murs épais. Entre ce prêtre de la Mission de France et ce paysage, ces collines qui lui font penser à ses Vosges natales. Son truc à lui, c'est la terre. Lorsque le père abbé de l'abbaye d'Aiguebelle, alors responsable du monastère, lui propose, en 2001, de gérer le domaine, il hésite. Ce qui le décide, ce sont les pommiers… 5 hectares d'arbres fruitiers avaient été plantés. « Fallait bien que quelqu'un s'en occupe… » Et, surtout, les témoignages des villageois qui évoquent les moines avec tendresse. « L'héritage était si positif, dit-il, il ne fallait pas que cela cesse. » Il monte quatre jours par semaine au monastère pour s'occuper des 14 hectares : des pommiers, donc, des cultures maraîchères et des moutons. Jean-Marie accueille volontiers les visiteurs, dont la plupart sont étonnés de voir le monastère vivre encore : « Combien de fois on m'a dit : “Mais, je pensais que le monastère était fermé.” Non, Tibhirine n'est pas mort. »
Prêtre-ouvrier, ce fils d'agriculteur croit beaucoup à ce qu'il appelle le « ministère articulé sur deux pieds », qui allie une présence par le travail et l'animation d'une communauté. Auparavant, il a sillonné le plateau de Millevaches, dans la Creuse, au service de 200 familles, pour scier le bois destiné au chauffage, a introduit la culture attelée dans une vallée de Tanzanie, et gagné des terres sur le désert en Égypte. de ces expériences, il garde des idiomes : le swahili et l'arabe, qu'il parle avec l'accent du Proche-Orient, ce qui ne manque pas d'étonner ses amis algériens. Et une conviction profonde : « le rapport à la terre permet à des hommes différents de s'entendre, de se comprendre, de travailler ensemble pour produire de belles récoltes. »
Les gens du village lui donnent un coup de main pour les cueillettes. En échange, il a récemment aidé à couler le béton de la dalle de la mosquée bâtie… juste devant le monastère. « Il y a le dialogue islamo-chrétien des colloques et celui qui se fait sur le terrain, dit-il. Cela a été l'occasion de créer des liens avec les responsables. » Demain, flanqué de deux voitures de la police, imposées par l'État algérien, il grimpera la route qui mène au monastère. La veille, Youcef et Samir, les deux ouvriers agricoles qui travaillent avec lui, ont récolté les mûres. Il y aura d'abord le café de 9 h 30, partagé avec des jeunes du village venus dire bonjour. Puis, les trois hommes se mettront aux confitures. On imagine l'odeur envahissant le monastère. Non, Tibhirine n'est pas fermé.