Petit bijou d'audace absurde et décalée, ce livre suédois de
Jonas Karlsson m'a fait penser dans un premier temps au Placard du coréen
Un-Su Kim. Nous retrouvons en effet le fonctionnement d'une administration dans laquelle est plongé un homme qui semble ne pas être apprécié à sa juste valeur, comme relégué dans un placard. Dans les deux livres, l'absurde règne en maître, satire virulente contre l'Administration et son fonctionnement bureaucratique. Dans les deux livres les narrateurs découvrent un endroit particulier. Dans
le placard, comme son nom l'indique, un homme découvre
le placard n°13 qu'il parvient à ouvrir à force de patience, ici un homme découvre une mystérieuse pièce. Ces découvertes, dans les deux cas, vont leur permettre de s'évader de leur univers professionnel bureaucratique.
Là s'arrête pourtant la comparaison.
le placard va ensuite nous plonger dans un texte fantastique très loufoque, ici le roman se veut plus sobre, teinté certes de fantastique, l'anticonformisme, la folie, l'exclusion étant cependant le véritable coeur du récit.
A Stockholm, Björn vient d'être muté à l'Administration. Nous comprenons rapidement que cette mutation lui a été imposée par son ancien supérieur hiérarchique. Il faut dire que notre homme est particulier : imbu de lui-même, arrogant, parano, psychorigide, maniaque, il ne cesse de juger le travail des autres à l'aune de la très haute opinion qu'il a de lui-même. Il n'a aucune légèreté et aucune capacité à s'émerveiller, à s'émouvoir. Même un dessin d'enfant par exemple sera source d'une analyse glaciale. Dès son arrivée, il ne sympathise pas du tout avec ses collègues, son objectif étant de prendre la place du chef qu'il considère avec mépris. Un jour il découvre l'existence d'une pièce entre l'ascenseur et les toilettes dans laquelle règne une ambiance épurée, minimaliste qui permet à Björn de ressentir un bien-être tel que ses pensées s'éclaircissent, son travail est plus efficace. Un véritable lieu pour se ressourcer, pour méditer. Un sas pour décompresser dans lequel il revient de plus en plus souvent.
« J'ai senti le mur propre et blanc contre mon dos. Les stries légères sous ma main en posant ma paume sur le papier peint. La fraîcheur de l'acier contre ma joue en appuyant ma tête contre l'armoire à documents. le mouvement des tiroirs coulissant en douceur sur leurs rails métalliques. L'ordre. »
Le hic, c'est que pendant que Björn est dans
la pièce, les collègues eux le voient planté au milieu du couloir à fixer le mur comme hypnotisé. Son attitude odieuse et son comportement très étrange vont créer un malaise grandissant qui va venir gangrener le service. Björn est-il fou ou ses collègues se sont-ils ligués contre lui pour l'amener à se croire fou ? Qui domine qui ?
C'est complètement kafkaïen…Kafkaïen le travail absurde et sans aucun sens demandé aux employés qui doivent écrire des résumés à partir de rapports d'inspection incompréhensibles. Kafkaïen le comportement de Björn absolument détestable. Kafkaïen la façon dont se diffuse le malaise au sein de l'open-space, tâche poisseuse grandissante étouffant toute légèreté et ambiance d'équipe. Kafkaïenne l'angoisse bien visible du chef qui ne sait comment gérer cette situation inédite entre un employé dérangé et l'ensemble des collègues qui se liguent contre lui, tension inextricable alors que plane la menace de la disparition de cette Administration.
Est-ce un livre sur la différence ? L'anticonformisme ? L'exclusion des personnes différentes et atypiques. Oui assurément, mais au lieu d'en faire un livre lumineux sur la différence, la subtilité provient ici des sentiments même que tout lecteur ne peut s'empêcher d'éprouver : nous le détestons immédiatement, instinctivement, viscéralement, ce personnage, il est notre pire cauchemar. Impossible de le défendre. Non ce livre n'est pas un feel-good mettant à l'honneur l'acceptation et l'intégration des personnes différentes, il montre, par le biais d'une satire décalée, une personne atypique qui saccage tout sur son passage et qui est d'une méchanceté rare. Cela donne un texte totalement jubilatoire, féroce, drôle mais en même temps angoissant car nous nous rendons compte que lui-même porte le même regard sur ses collègues, effet miroir qui nous met mal à l'aise et nous interroge…
« Les gens stupides ne savent pas toujours qu'ils sont stupides. Peut-être sentent-ils que quelque chose cloche, peut-être remarquent-ils que les choses ne se déroulent pas comme ils l'attendent mais peu savent que c'est à cause d'eux. Qu'ils sont pour ainsi dire la racine de leurs propres problèmes. Chose qui peut parfois être très délicate à expliquer ».
Ce livre est un petit bijou de causticité à la fois jubilatoire et angoissant, tout du moins dérangeant, j'ai vraiment beaucoup aimé ! Merci beaucoup Christophe (@christophe_bj) de m'avoir fait découvrir cet auteur dont j'ai envie de lire désormais les autres livres.