J'ai acheté ce livre il y a plus d'un an, sur une impulsion, suite à de nombreuses critiques élogieuses. Mais très honnêtement, je ne savais pas si je le lirais un jour.
C'est surtout le titre qui m'avait attirée à l'époque, plus que le contenu.
Vivre avec nos morts
Ces quatre mots m'avaient frappée.
Ils étaient la bouée que je recherchais dans mon naufrage intérieur. Concilier ma vie et la mort de mes proches, mes souvenirs et l'absence de ceux que j'aime.
Depuis plus d'un an, ce livre était posé sur ma table de chevet, le titre en évidence. Chaque jour, mon regard se posait sur ces quatre mots.
Vivre avec nos morts.
Cette petite phrase lue et relue, quatre mots-bouée.
Lors d'une formation professionnelle sur la laïcité, un court extrait d'une émission dans laquelle était invitée
Delphine Horvilleur, a été diffusé. Son discours posé, mesuré, intelligent, d'une grande sagesse, m'a touchée et donné envie d'ouvrir ce livre, de lire quelques lignes.
Il y a un moment pour chaque lecture. Ce jour-là, j'ai lu le premier chapitre, puis je l'ai reposé, le titre toujours visible. Au fil des jours, je l'ai repris ne lisant que quelques pages, relisant certains passages, soulignant de nombreux paragraphes, ce que je ne fais jamais.
Et petit à petit, je suis arrivée aux derniers mots du livre « A la vie ! »
*
« Alors, racontez-moi… ! »
Delphine Horvilleur revisite sa mémoire, son histoire, sa vie d'Imane à travers des portraits émouvants d'hommes et de femmes, anonymes ou personnalités connues, comme
Elsa Cayat, la psychiatre assassinée lors de l'attentat contre
Charlie Hebdo ;
Simone Veil et son amie
Marceline Loridan, toutes deux rescapées d'Auschwitz ;
Yitzhak Rabin, homme politique israélien et artisan de la paix israélo-arabe assassiné en 1995 ; Ilan Halimi enlevé, séquestré et torturé avant d'être sauvagement assassiné ; Edgar, l'oncle de l'autrice, inhumé au cimetière alsacien de Westhoffen qui fut profané en 2019, …
Tous ces portraits nous plongent dans
L Histoire sombre et douloureuse du XXIe siècle.
D'autres portraits, anonymes, nous font sourire ou sont un pont qui nous relie à notre propre histoire.
L'autrice tend un fil invisible entre chacun d'eux, et en faisant cela, elle tisse des liens entre la vie et la mort, elle nous interroge sur le sens de la vie, sur notre propre finitude.
À sa manière,
Delphine Horvilleur est une tisseuse d'histoires et de vie. À travers de nombreuses anecdotes, elle montre l'importance de parler de la vie surtout au moment où la tristesse est la plus vive, de ne pas laisser la mort prendre le dessus et avoir le dernier mot.
« Ne jamais raconter la vie par sa fin mais par tout ce qui, en elle, s'est cru "sans fin ».
Savoir dire tout ce qui a été et aurait pu être, bien avant de dire ce qui ne sera plus. »
Ce tout petit essai est un grand et beau livre qui s'adresse à tous et parlera à tous.
*
On ne sait pas parler de la mort. Combien de fois a-t-on entendu des paroles pleines de bonnes intentions, mais extrêmement maladroites ?
« Personne ne sait parler de la mort, et c'est peut-être la définition la plus exacte que l'on puisse en donner. Elle échappe aux mots, car elle signe précisément la fin de la parole. Celle de celui qui part, mais aussi celle de ceux qui lui survivent et qui, dans leur sidération, feront toujours de la langue un mauvais usage. Car les mots dans le deuil ont cessé de signifier. Ils ne servent souvent qu'à dire combien plus rien n'a de sens. »
J'ai aimé la justesse de ses mots qui réconcilient la vie et la mort.
Delphine Horvilleur est une grande conteuse, elle a une plume magnifique de simplicité, de profondeur et d'humanité. J'ai trouvé dans ses paroles, un baume pour mon coeur encore alourdi par le chagrin et le deuil.
Je me suis sentie à l'aise avec ses paroles, sa foi et ma conception de la religion. Mes interrogations ont trouvé leur place dans l'espace de liberté et de tolérance qu'elle créait.
Ses mots se nourrissent de sagesse et d'émotions, d'humour et d'humilité. Ils s'appuient sur les textes religieux qui racontent des histoires et sont ouverts à de multiples interprétations, ils se reposent sur l'étymologie des mots, mais aussi sur son expérience personnelle. Elle exprime ses doutes, ses questionnements, ses peurs.
« Accompagner la mort des autres ne m'a pas immunisée contre l'appréhension de la croiser. Je me méfie de tous ceux qui disent que mourir s'apprend et qu'il existerait une méthode imparable pour se résoudre à l'accepter. »
*
Je suis emplie de peurs.
La peur de partir avant d'avoir fait mon temps.
La peur de me voir mourir, de souffrir.
La peur de vieillir et de dépendre de ma famille.
Mais plus encore, j'ai peur de voir partir avant moi ceux que j'aime et qui sont le centre de ma vie.
J'ai essayé de tenir à distance cette peur viscérale, ces émotions douloureuses. À la lecture de ces onze chapitres, un nouveau chemin se présente à moi, celui de vivre avec tous mes morts.
J'ai reposé ce livre sur ma table de chevet, certaine qu'un jour, je relirai certains passages.