Les aventures de Tintin - Double album, tome 9 : Le sceptre d'Ottokar / L'affaire Tournesol

Ce double album de Tintin réunit deux histoires qui ne manquent pas de liens, géographiques et historiques. Hergé situe leur action entre deux pays ennemis, la Syldavie et la Bordurie. le Sceptre, paru avant la 2ème guerre mondiale, illustre les risques d'un conflit et la montée d'un régime totalitaire. le second, paru plus tard en 1954/56, traite du surarmement et de l'espionnage en pleine guerre froide.

Si le Sceptre d'Ottokar est un de mes albums de Tintin préférés, il le doit d'abord au réalisme parfait, aux yeux de l'enfant que j'étais, de l'album colorisé et corrigé par E.P. Jacobs. Comment ne pas croire quand on est enfant que la Bordurie est sur le point d'envahir la Syldavie dont l'armée semble compter autant de traîtres que d'officiers ? Sans le savoir cet album fut ma 1ère plongée imagée dans l'histoire des deux grands conflits mondiaux du XXème siècle. La situation instable des Balkans pour le premier, l'Anschluß opérée par l'Allemagne du Führer sur l'Autriche et la future invasion de la Belgique pour le second.

Hergé convoque à nouveau de nombreux genres dans cet album, tant pour l'histoire que les climats. On passe d'Hitchcock à Rouletabille, du muséum d'histoire naturelle - accessoirement celui de Berlin - au Mystère de la Chambre Jaune pour le vol du fameux sceptre. Les scènes de chasse aérienne par la DCA la nuit sont également dignes des meilleurs Caniff ou films de guerre. Sans parler des gags - ah, les Dupondt et l'hydravion ! - et de la révélation lyrique de l'album : Bianca  Castafiore qu'on avait entraperçue protégeant sa chienne Mirza de la pluie dans une cabine téléphonique chante ! Si ! Et E.P. Jacobs, encore lui, a même rectifié ses notes pour l'album évoqué plus haut ! Mais, justement et malgré ça, tout se tient : on ne décroche pas une seule seconde !

Si ma préférence va aujourd'hui à la 1ère version en noir et blanc c'est pour la tension que crée sa lecture sur 3 bandes par planche, avec les superbes hors-textes. C'est pour le goût de l'oeuvre originale et le contexte du moment où elle paraît en feuilleton puis en album, en 1939. Jamais Hergé n'a autant plongé son héros - et le lecteur donc - dans l'actualité. Il le fait avec un dessin parfait - il a rapporté d'Angleterre ses fameuses plumes à réservoir - mais aussi un dessein plus ou moins avoué : rassurer sur le bien-fondé de la monarchie constitutionnelle de son pays, la Belgique. On sait ce qu'il en adviendra quand Müsstler - hum, pardon, Hitler - franchira avec ou sans sceptre la frontière.

L'album donne aussi sous différents formats leur double à de nombreux personnages : un classique du roman d'espionnage mais aussi un dilemme à éprouver sous l'occupation à venir. Et une leçon sur l'exercice du pouvoir, Tintin court après le bien le sceptre dans la poche de son pardessus, tandis que d'autres usent de tous les attributs du pouvoir pour semer le mal...

L'enfant que j'étais à la 1ère lecture n'avait pas vu tout ça. Mais tout aimé oui. Et l'y trouver et saisir aujourd'hui rend chaque nouvelle lecture encore plus riche, intense et émouvante. Un de mes Tintin préférés oui, s'il en est !
Paru en feuilleton, une planche par semaine avant de passer sur une double, L'Affaire Tournesol a la tourne facile et le gag aussi alerte que le sujet est grave.

Au moment de la parution - de 1954 à 1956 - le monde est en pleine guerre froide. Dans l'album Hergé imagine une arme de destruction massive plus forte que les bombes A et H. le Professeur Tournesol en train de la mettre au point attire la convoitise de puissances ennemies...

Explosions mystérieuses, espionnage en tous genres, enlèvement, séquestration et force poursuites, L'Affaire Tournesol est un thriller que Hitchcock ne renierait pas. Il contient même - mais je ne dirai pas où, n'est-ce pas Milou ! - ce fameux objet que le maître du suspense appelait mac-guffin.

En pleine guerre froide, ce thriller politique est aussi un plaidoyer pour l'entente et la rencontre des contraires. La dernière case qui réunit chien et chat illustre le volet optimiste. le régime de la Bordurie qui lui réunit à la fois Staline et Hitler illustre plus le volet négatif. Hergé, réaliste pessimiste, ajoute à cette peinture l'affairisme suisse où la neutralité couvre bien des intérêts.

Le burlesque de cet album est à la hauteur et joue aussi avec le sujet. L'arme absolue mise au point par Tournesol utilise le son. La communication rime avec confusion, il suffit d'un numéro à la place d'un autre et c'est Moulinsart qu'on appelle et pas la boucherie Sanzot. Comme le sparadrap qui lui colle à la peau et un peu partout, le Capitaine Haddock découvre Séraphin Lampion, l'assureur de la Cie Mondass. S'il débarque à Moulinsart au bon moment - quand le cristal, les verres et la porcelaine se cassent - son sans-gène individualiste et matérialiste semble bien dérisoire par rapport aux enjeux vécus par le monde.

Avec cette course-poursuite infernale semée de récits parallèles qui renforcent et le rythme et le suspense, un dessin, des cadrages et des bulles parfaites, Hergé sublime ce que Tintin chez les Soviets pressentait déjà.

Deux très grands, deux très beaux Tintin ici ! D'abord, celui qui est peut-être mon préféré, le Sceptre d'Ottokar, et puis ensuite la fameuse Affaire Tournesol. Dans les deux cas, l'histoire, les gags, les personnages sont géniaux. Ce que je remarque le plus peut-être, dans le Sceptre d'Ottokar, c'est la qualité du dessin, le nombre, la précision et la cohérence des détails de costumes et de décors. On a affaire à du grand Hergé.
L'Affaire Tournesol est bien différente, mais ce n'en est pas moins un album de grande qualité. C'est là qu'Hergé nous invente le fameux Lampion ( qui au début devait s'appeler Crampon ), et, à travers une réjouissante histoire d'espionnage, nous offre un beau roman d'aventures, plaisant et sans cesse amusant.
En bref, voici dans ce coffret, deux des meilleurs albums d'Hergé.

A quoi tiennent les choses... Dans un parc bruxellois, Tintin avise une serviette oubliée sur un banc: grâce au nom du propriétaire indiqué dedans, le reporter rapporte son bien à un homme au talent inhabituel, M. Nestor Halambique. L'homme est sigillographe, spécialiste des sceaux. de fil en aiguille, Tintin accompagne M. Halambique en Europe de l'Est, du moment que le collectionneur de sceaux et cachets désire trouver des informations sur un sceau de Syldavie. La Syldavie, apprend-on, est un Etat des Balkans: cette contrée inventée par Hergé porte un nom composé de Moldavie et Transylvanie, deux régions roumaines depuis 1918... (Même si la Syldavie possède des traits d'autres pays réels encore, je ne voudrais pas être trop long là-dessus.)
Intéressante quête historique et artistique... Mais dans l'ombre, des conspirateurs préparent d'inquiétantes actions. Tintin est directement menacé. Ce voyage a lieu dans un climat marqué par la montée des périls totalitaires: la vulnérable Syldavie, largement "infiltrée", noyautée jusque dans l'appareil d'Etat, aiguise l'appétit d'un pays voisin, la Bordurie, gourmand de nouveaux territoires.
Depuis le Moyen Age, la légitimité du roi de Syldavie repose sur la possession de son sceptre. Sans cet insigne symbolique du pouvoir, le roi ne peut être crédible. Aux yeux du peuple, un roi sans sceptre a perdu le droit de régner. Cette singulière coutume, jointe aux menées des conspirateurs, représente un danger considérable pour la Syldavie: Halambique et Tintin ne sont pas arrivés là-bas au bon moment ! La nature de leur voyage va être totalement modifiée, bien malgré eux. Palpitante aventure rendant fort bien le concept de noyautage, la présence occulte d'ennemis jusqu'au coeur du pouvoir.
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