On ne connaît ni son nom et rien de ce qui a provoqué son isolement derrière un mur transparent et invisible, derrière lequel le reste du monde est mort, pétrifié mais où la nature reste vivante. Elle se retrouve seule dans un chalet appartenant à Louise, s a cousine et Hugo son mari avec pour seul compagnon un chien, Lynx qui va devenir avec des chats, une vache et un taureau ses seuls compagnons.
A travers deux ans et demi de son journal qu'elle tient pour laisser un témoignage de sa vie dans les lieux, elle retrace son adaptation à la situation, sans chercher à en connaître les raisons même si en tout début il est évoqué la possibilité d'une guerre atomique. Elle écrira jusqu'à la dernière feuille de papier en sa possession, ce qui arrivera ensuite nul ne le sait….
Ne cherchez pas dans ce récit de l'action, il s'agit là uniquement de sa vie quotidienne partagée entre les soins aux animaux, journaliers, détaillés, des cultures pour sa survie et celles des bêtes mais aussi de ses états d'âme au fil des jours et d
es saisons. Pas d'action mais pourtant un réel plaisir de lecture à suivre cette femme chercher des solutions, s'adapter à son environnement et ne pas trop s'attarder sur ses sentiments. Elle les évoque mais elle se refuse à tout apitoiement.
Elle fait appel à ses souvenirs d'enfance pour retrouver les gestes de la vie rurale : traire, faucher, planter etc…. Il y a une relation très profonde qui la lie à la terre mais aussi aux animaux, ils sont pour la plupart dépendants d'elle et lui apportent l'affection, l'attachement et sûrement la volonté de ne pas se laisser aller au désespoir, ils deviennent d'ailleurs des personnages à part entière.
C'est une narration d'un seul tenant, reprenant dans une écriture féminine, douce, jamais angoissée, les étapes de sa vie. J'ai été touchée par la résignation dont elle fait preuve, elle n'affiche jamais une colère sauf lorsqu'on touchera à ce qu'elle a de plus précieux : ses animaux. le temps n'est plus à la colère, le temps est à la survie.
C'est un roman dans lequel l'amour transpire malgré tout : amour de la nature, beauté des paysages, cycles d
es saisons mais aussi et surtout amour partagé avec les animaux qui partagent son quotidien. Tout est décrit avec précision mais sans lourdeur, sans ennui, on pose le livre, on le reprend et on est immédiatement replongé dans cet univers pastoral.
Comment ne pas penser à un Walden de
H.D. Thoreau, au féminin, mais avec beaucoup plus de fluidité dans l'écriture et surtout une solitude totale, non voulue donc subie et totalement inexpliquée.
C'est une magnifique ôde à la vie, malgré tout, ce n'est ni triste, ni gai, c'est simplement la vie dans sa plus simple expression, dans la recherche permanente d'une survie, de l'instinct primaire mais avec une attention portée aux comportements des animaux, à leur signification mais aussi à l'attachement qu'elle leur porte :
"J'en ai assez de savoir d'avance que tout me sera enlevé. Mais ce temps n'arrivera pas, car aussi longtemps qu'il y aura dans la forêt un seul être à aimer, je l'aimerai et si un jour il n'y en a plus, alors je cesserai de vivre. Si tous les homes m'avaient ressemblé, il n'y aurait jamais eu de mur (…) Aimer et prendre soin d'un être est une tâche très pénible et beaucoup plus difficile que tuer ou détruire. Elever un enfant représente vingt ans de travail, le tuer ne prend que dix secondes. (p187-188)"
Elle évoque également la folie des hommes, du monde et j'ai parfois été surprise qu'elle ne soit pas plus anéantie, en particulier par l'éloignement de ses filles (ou peut-être leur mort). Il y a une sorte de douce résignation à accepter le présent tel qu'il est, à vivre le quotidien sans trop penser à hier ni à demain, même si parfois le doute s'installe. C'est presque une attitude philosophique, revenir à l'essentiel sans penser à ce qui ne peut être changé.
"En une nuit, ma vie passée et tout ce à quoi je tenais m'avaient été volés de façon mystérieuse. Tout pouvait arriver puisqu'une telle chose était possible. Naturellement, on m'avait inculqué à temps assez de discipline et de raison pour que j'étouffe dans l'oeuf des excès de ce genre. Mais je ne suis pas sûre que ce comportement soit normal ; peut-être que la seule réaction normale à ce qui est arrivé aurait été de sombrer dans la folie. (p217)"
Il n'y a ni intrigue, ni dénouement et pourtant c'est une bulle d'humanité d'éloge de la vie, pour toute vie même, un voyage dans l'inconnu et où pourtant tout est d'une beauté absolue.
Une lecture que je recommande vivement car elle est à la fois apaisante, douce, sans violence, elle amène aussi à beaucoup de questions sur nous, sur un monde qui pourrait basculer dans un effroyable cataclysme.