Après deux lectures magnifiques mais d'un réalisme brut, âpre, j'ai eu envie de changer de cap et de me tourner vers un roman qui m'apporterait son lot d'évasion, de romanesque... Sans trop savoir pourquoi, j'avais des désirs dix-neuvièmistes et victoriens, des envies de manoirs hantés et de siècles passés. "Le Séance" m'attendant depuis quelques temps dans la pile de livre qui orne (et désordonne) le plancher de ma chambre, c'est sur elle que j'ai -naturellement- jeté mon dévolu.
Et tudieu, quel plaisir que ce roman! Dévoré en moins de deux soirées, je ne suis pas parvenue à lâcher, au prix de ma vie sociale (qui me pardonnera) et de mon sommeil (qui se rattrapera!) cet merveille de roman dans lequel l'auteur,
John Harwood, reprend patiemment et avec brio tous les codes du roman gothique voire du roman victorien pour les faire siens.
C'est ainsi que ce roman contemporain (paru, je crois, en 2010) m'a fait voyager au coeur du XIX° siècle en parvenant me faire croire qu'il avait été écrit à cette même époque et ce, grâce à des procédés narratifs caractéristiques et que n'auraient pas dédaigné un
Wilkie Collins, un Dickens voire une Brontë. Je pense notamment aux narrateurs multiples, aux nombreux récits enchâssés qui émaillent le texte ainsi qu'à l'usage de journaux intimes ou de confessions. Un régal de maîtrise et d'imagination, tout comme la langue que j'ai trouvé très écrite, très soignée et élégante, parfois délicieusement (et volontairement sans doute) désuète.
Outre la manière qu'a
John Harwood de conduire sa narration, il y a également l'histoire, l'intrigue qu'il nous conte. Elle est diabolique, haletante , très intelligemment menée et fleure bon le roman noir, voire gothique puisqu'il y est question d'un vieux manoir Tudor enclot dans une forêt ténébreuse et des fantômes qui s'y épanouissent à l'ombre d'un domaine laissé à l'abandon; de spiritisme et de mesmérisme; de la disparition mystérieuse d'une jeune femme à la santé mentale vacillante; d'alchimie et d'orages foudroyants; d'amours contrariées; de perversion et de secrets enfouis; d'une orpheline...
Pour Constance Langton, l'hiver 1889 est bien cruel. Outre son froid qui enserre tout Londres de son étreinte glaciale, elle se retrouve orpheline (ou c'est tout comme...) et ne peut compter que sur la générosité d'un oncle inconnu pour l'héberger. C'est alors qu'elle est contacté par un avocat qui semble l'avoir longtemps cherché et qui lui annonce au coin du feu que des parents éloignés lui ont légué un héritage inattendu: le manoir de Wraxford Hall, de sinistre mémoire puisqu'on le dit hanté, puisqu'on raconte qu'il porte malheur à tous ses occupants. L'homme de loi lui-même enjoint la jeune fille de ne pas accepter ce leg...
Constance, pourtant, ne s'en laisse pas conter et va lever le voile de mystères qui nimbe Wraxton Hall au fil de ses rencontres et des nombreuses lectures qu'elle fera.
Même si "
La Séance" n'est pas exempt des défauts qu'on peut habituellement reprocher aux ouvrages de ce genre (ainsi les jeunes femmes qui hantent le récit sont toutes sujettes aux évanouissements dès lors que la situation implique un frisson, comme toutes héroïnes qui, supposément, se respectent, surtout au XIX°siècle, alors qu'elles sont toutes par ailleurs fortes, indépendantes et diablement malines!) et qu'il aligne les clichés (la jeune héroïne, donc, et orpheline de surcroît; le personnage masculin aussi séduisant qu'inquiétant avec son charme irrésistible et franchement méphistophélique voire sardonique; les orages et le manoirs aux mille tours...), il n'en demeure pas moins que c'est une lecture délicieuse, qui fonctionne et qui fait mouche, justement parce qu'elle assume les clichés, que -soyons honnêtes- on attend tous, et qu'elle les traite avec intelligence, les dosant savamment, parce qu'elle est très bien écrite aussi. Ainsi, l'atmosphère qui nimbe le roman est une réussite: oppressante, ténébreuse, angoissante et le suspense, la tension distillés au fil des différents récits enchâssés sont presque intenables. de leur côté, la plupart des personnages sont bien construits et attachants (de mon côté, j'ai eu un faible pour
John Montague). Quant à l'intrigue, enfin, elle se révèle extrêmement bien ficelée et je m'y suis laissée prendre comme une débutante.
Thriller, roman gothique, pastiche... "
La Séance " est un ensorcelant moment de lecture qui abolit le temps et le sommeil et qui, en creux, dit aussi tout le pouvoir de l'écrit et de ses jeux, une subtilité qui le rend plus profond qu'il ne pourrait en avoir l'air.
Un délice.