Dans ce livre,
Romain Gary nous raconte son enfance depuis Vilnius, puis la Pologne jusqu'à l'exil en France, élevé par sa mère dans des conditions difficiles, son père l'ayant abandonné. On le suit ainsi jusqu'à l'âge adulte, à la fin de la deuxième guerre mondiale.
Elle l'a élevé comme un prince : tu seras ambassadeur, mon fils, tu seras un grand écrivain, (pas n'importe lequel bien sûr :
Dostoïevski, Hugo), tu seras un héros, mettant la barre si haut qu'il mènera sa vie en fonction d'elle, de sa notion d'identité, d'appartenance à la France qu'elle idéalise, lui transmettant des valeurs peu conformes à la réalité.
» Je pensais à toutes les batailles que j'allais livrer pour elle, à la promesse que je m'étais faite à l'aube de ma vie, de lui rendre justice, de donner un sens à son sacrifice et de revenir un jour à la maison, après avoir disputé victorieusement la possession du monde à ceux dont j'avais si bien appris à connaître, dès mes premiers pas, la puissance et la cruauté. »
Dès son plus jeune âge, il écrit noircissant des pages à un rythme parfois éreintant, se cherchant un pseudonyme digne de l'avenir que sa mère projette pour lui.
Comment décrire le choc avec la réalité lorsqu'il voit ce qui se passe, dans sa vie d'enfant, puis lorsqu'il voit le comportement des gradés de l'armée pendant la guerre ou la manière dont on lui refuse son grade d'officier sous prétexte qu'il est Français par naturalisation, et naturalisé depuis trop peu de temps.
Il a intériorisé ses paroles et il y a une sorte de dédoublement quand il cherche comment se comporter à l'âge adulte; elle pense à travers lui, il s'exprime comme elle, les mots sortent de sa bouche selon ses expressions à elle, il a parfois même l'impression de parler avec l'accent russe.
Il a été l'homme de sa vie, chacun des deux ayant vécu par procuration en fait, comme il l'écrit si bien:
« J'ai toujours su que je n'avais pas d'autre mission ; que je n'existais, en quelque sorte, que par procuration. »
Romain Gary rend un hommage magnifique à cette mère excessive, débordant d'amour pour son fils, prête à tous les sacrifices pour lui avec abnégation et qui l'a étouffé par cet amour démesuré, lui donnant une confiance totale en sa bonne étoile et en même temps des doutes sur ses propres désirs et sentiments. de nos jours, on la qualifierait de « mère toxique », de « mère juive », hyper protectrice voire abusive…
Cette relation fusionnelle avec sa mère l'a conduit à faire ses choix en fonction d'elle, jamais pour lui-même, essayant d'être conforme à ce qu'elle voulait pour lui. N'est-il pas passé à côté de sa vie, de se vrais désirs, pratiquement incapable de s'attacher à une autre femme qu'elle?
L'écriture est magnifique, pleine d'humour et il est difficile de refermer ce livre, tant il nous emporte. J'ai adoré autrefois, «
La vie devant soi » publié sous le pseudonyme d'Emile Ajar, (un autre moi ?). Cet homme me touche énormément par sa sensibilité, sa fragilité, et par son parcours: diplomate, Compagnon de la Libération, écrivain… et sa fin tragique.
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