J'avais repéré ce livre depuis très longtemps, mais ce n'est pas très étonnant : deux auteurs belges à peu près inconnus, qui écrivent un thriller de bonne tenue qui gagne même un prix de lecteurs (certes,
Femme Actuelle n'est pas le Goncourt, mais au moins il a trouvé son public !), ma librairie ne pouvait que le mettre en évidence ! de plus, c'est un vrai pavé, presque 700 pages, et moi j'aime bien les pavés, donc ça ne pouvait que marcher… Bref, il était temps de le lire enfin !
Maintenant que j'ai refermé la dernière page, je suis peut-être un peu moins enthousiaste. Il y a beaucoup de bon dans ce livre, mais aussi quelques défauts qui font que le plaisir est quand même un peu mitigé.
Je commence par le plus évident, au risque de me répéter : les auteurs sont belges, et surtout, ils assument à 200% leur belgitude. J'adore ça ! J'ai lu dans l'un ou l'autre commentaire, ici ou là, qu'il y aurait des fautes de français… Sérieusement ? Moi je n'en ai trouvé aucune ; en revanche, oui, il y a quelques tournures de phrase qui avaient ce petit goût « de chez moi » - certaines que je pouvais reconnaître de façon évidente, d'autres moins, car certains professeurs de français en Belgique francophone continuent d'imposer une langue française uniforme, tandis que d'autres, déjà du temps de ma jeunesse, se plaisaient à souligner les différences locales, tout en insistant sur le fait que tout est permis tant que ça reste correct. Et pour les esprits chagrins : parle-t-on exactement le même français à Lille ou à Marseille, à Charleville-Mézières ou à Pau ? (je pense à l'éternel débat entre pains au chocolat ou chocolatines, et je ris !) Bref, je n'ai pas relevé ces quelques spécificités, mais indéniablement elles m'ont donné un sentiment de bien-être accrocheur.
Et bien sûr, bien au-delà de la seule langue, la description même sommaire de certains lieux de Bruxelles a renforcé cette impression d'être en terrain connu, je pouvais visualiser certains lieux sans aucun problème car je les connais ! Ce don de pousser à la visualisation, de se sentir « chez soi » même quand on n'y est pas, va plus loin encore : quand on passe à un certain dépaysement (lors de l'intrigue en Chine par exemple), c'est un peu comme si un grand frère nous donnait la main pour nous y conduire, j'ai beaucoup apprécié cette sensation !
Par ailleurs, j'ai rapidement été emportée par une histoire trépidante, au rythme soutenu, parfois même endiablé (vraiment !). Certes, dans les premières pages, l'intrigue m'a semblé à la limite d'une certaine fadeur, avec un héros très lisse, tout énamouré de sa femme enceinte, bien entouré par sa belle-famille, sans aucun côté obscur. Mais très vite ça se modifie, par de petites touches au départ, et puis c'est de plus en plus évident, offrant une histoire pleine de rebondissements, tandis que la tension va crescendo. On a même quelques retournements de situation ici ou là, mineurs mais qui entretiennent indéniablement le suspense. le tout est porté par une écriture que je qualifierais de « visuelle sobre ». En effet, elle permet au lecteur de se faire très facilement ses propres images, à la façon d'un film qui se déroulerait sur sa rétine au fur et à mesure de son avancée dans le livre, et on sent le potentiel de mise à l'écran que pourrait avoir ce roman. Pour autant, il ne tombe jamais dans un langage ultra-cinématographique comme j'ai parfois trouvé ailleurs : il ne ressemble pas à un pseudo-script. Au contraire, il reste toujours sobre, simple, allant à l'essentiel en quelques mots bien choisis, et cela suffit pour créer toute une suite d'images comme je disais plus haut.
Pourtant, ce livre ne m'a pas tout à fait enchantée comme j'aurais pu espérer.
En effet, le synopsis ne l'annonce pas, et à vrai dire je ne m'y attendais pas : ce livre est divisé en deux parties, qui auraient pu être deux tomes tant ils sont différents, même si bien évidemment ils se tiennent. La première partie se passe de nos jours sans trop de précision et tout est tout à fait plausible ; tandis que la seconde partie fait des allers-retours entre l'Angola et les comptoirs du Nouveau-Monde au XVIIe siècle, et un rebond dans les aventures de nos héros du premier tome, 16 ans plus tard, à la limite de l'anticipation car certains éléments qui ne sont que des prototypes actuellement, ou en tout cas que l'on trouve très peu, y sont exploités comme s'ils faisaient partie d'un quotidien normal (comme les voitures ultra-connectées et qui se conduisent sans intervention humaine). Or, je ne suis pas convaincue que la structure de ces deux parties ait été très bien choisie. L'histoire « principale » était clôturée dès la fin de la première partie, du coup on se demande ce que les auteurs peuvent bien encore raconter, on a un peu l'impression d'une surenchère. Quant aux chapitres historiques, ils sont réellement intéressants… et je pense réellement qu'il aurait été opportun de les introduire dès la première partie, car ils apparaissent comme un véritable fil rouge, qui aurait pu traverser tout le livre dans une espèce de mystère, qui ne s'éclaire de toute façon que tout à la fin.
Mais surtout, de façon générale, et malgré les qualités citées plus haut, j'ai eu l'impression de « trop », de tout. J'ai déjà parlé de la surenchère que représente la deuxième partie du livre, qui n'était pas forcément utile (à part la partie historique, peut-être…). Mais il y a aussi un nombre incalculable de sujets abordés, qui tournent tous autour d'une organisation ultrasecrète dont le but ultime serait de diriger le monde en influençant les dirigeants officiels et, au-delà, de trouver la recette de la vie éternelle. Sous ce prétexte, les auteurs jettent dans leur filet tant de sujets potentiellement à scandale que c'en est trop : les firmes pharmaceutiques qui pourraient trouver des traitements contre les MNT (pour maladies non transmissibles, comme le diabète ou les cancers par exemple) mais qui ne le font pas ou alors à prix prohibitifs car sinon ce n'est pas rentable ; la révoltante mauvaise répartition des richesses dans le monde, quand les 8 personnes les plus riches possèdent autant que 3,6 milliards d'individus (pauvres) rassemblés ; le scandale des négriers au temps des colonies et toutes les exactions y liées. Mais c'est aussi une diatribe, certes soft mais bien présente, contre les croyances (chrétienne en particulier) qui auraient été créées pour éviter à « monsieur tout le monde » de penser ou de raisonner, prétendument à l'inverse de la franc-maçonnerie, qui est légèrement mise en avant mais avec des garde-fous ; etc.
À côté de ça, on a aussi trop de morts tout au long de ce livre : on tremble sans arrêt pour les personnages, surtout dans la première partie, et c'est normal puisque c'est un thriller… mais là on est carrément dans l'excès, car ils tombent comme des mouches les uns après les autres ! On se demande même qui va réellement être présent dans la 2e partie (quand on se rend compte qu'on y est), et même là ils ne vont pas durer bien longtemps. Cela a aussi l'effet indirect que, si on s'est attaché à l'un ou l'autre personnage au début, finalement on les laisse « partir » et on décide presque involontairement de ne plus s'attacher à aucun, puisqu'ils vont de toute façon disparaître à leur tour dans des circonstances désagréables… ou pas… mais décidément : trop is teveel ! – expression très belge (ah ah !) mêlant français et flamand, qui signifie tout simplement « trop, c'est trop ! ».
Cela dit, il faut reconnaître que les auteurs ont fait un véritable travail de recherche, très convaincante, comme en témoignent un certain nombre de faits réels cités en cours de narration et rassemblés en fin du livre, et étayés par une bien intéressante bibliographie qui semble tout à fait abordable.
Ainsi, ce livre m'a séduite avec sa belgitude assumée, ses nombreux rebondissements et son écriture très maîtrisée ; il a réellement tous les atouts pour plaire aux amateurs de ce genre de thriller survitaminé. Ma propre réserve n'altère en rien ses qualités, dont une écriture visuelle sobre qui fonctionne mieux qu'un script forcé. Mais je retiens aussi quelques maladresses, qui auraient pu être évitées, et qui le seront sans aucun doute si les auteurs se décident à tenter une nouvelle aventure littéraire !