Ion ? C'est quoi ça ? Qu'est-ce qu'un atome qui a perdu ou gagné un électron vient faire dans une tragédie grecque ?
Aah rien à voir en fait. C'est un demi fils de dieu, l'un des rois légendaires d'Athènes – les Érechthides – dont le nom est à l'origine de celui des Grecs d'Asie, les
Ioniens.
Jamais entendu parler de ceux-là, ou alors c'est entré par une oreille et aussitôt sorti par l'autre.
Bon,
Ion n'est pas arrivé au pouvoir dans un canapé convertible.
Euripide se charge de nous raconter l'histoire à sa façon : un peu de nat
ionalisme athénien, un peu de vaudeville, un peu de tragédie. le gars est né du viol – le mot est prononcé – de Créuse par le dieu Apollon. Ne supportant pas l'idée de donner vie dans ces condit
ions, Créuse a abandonné
Ion. Apollon, penaud, se charge discrètement de le sauver avec l'aide d'Athéna (lien avec la figure tutélaire d'Athènes) et le fait élever par la Pythie de Delphes.
Une quinzaine d'années plus tard, Créuse se trouve à Delphes avec son époux Xouthos (encore un rejeton de dieu). Tous deux veulent savoir s'ils arriveront à avoir des enfants un jour. Mère et fille se rencontrent sans se reconnaître et se racontent leurs malheurs.
Apollon veut profiter de l'occase pour redonner son destin royal à
Ion. La Pythie annonce à Xouthos que « le premier homme qu'il verra en sortant du temple est son fils ». Banco : c'est
Ion. Joie, bonheur, félicité. On va faire a fête et égorger une hécatombe. Grosse partie comédie ici.
Ouais, félicité pas pour tout le monde. Créuse comprend que son époux lui a fait un enfant dans le dos et décide de l'empoisonner. C'est par elle que les enfants d'Erechthée règne sur Athènes ; pas quest
ion de prendre une pièce rapportée comme roi.
Bon, ça ne marche pas car Apollon a ses moyens de neutraliser et faire découvrir le complot. du coup c'est
Ion qui va faire lapider Créuse. Ça sent le tragique.
Mais Apollon intervient encore. La Pythie sort du temple pour donner à
Ion le panier dans lequel elle l'a trouvé, et Créuse le reconnaît. Un interrogatoire serré s'ensuit, puis joie, félicité, bonheur : « mon fils », « ma mère ». Tout s'arrange. Créuse et Xouthos auront d'autres enfants et
Ion sera roi.
Bon, il faut un dindon : c'est Xouthos qui restera persuadé qu'
Ion est son fils (bah non, c'est le fils d'Apollon).
Voilà vous savez à peu près tout. Il y a vraiment des dialogues marrants et d'autres inquiétants. Mais ce qui m'a frappé, à l'aune de l'heureuse condamnat
ion sans concess
ions de la violence faite aux femmes, c'est la force avec laquelle Créuse accuse Apollon de viol, l'irrémédiable brûlure de l'âme que cet événement a provoquée. J'ai été vraiment surpris de voir l'auteur condamner l'ensemble des dieux qui se sont permis de violer toutes ces jeunes filles et de leur faire des enfants sans leur consentement, de lire sous sa plume que, si les choses étaient bien faites, les dieux passeraient en jugement devant la justice des hommes et seraient condamnés.
Bon, il « rattrape ce coup » par la suite – en relig
ion on égorge pour moins que ça – et tous les acteurs finissent par louer Apollon. Ce dernier, dans son attitude, se sent vraisemblablement coupable et honteux. Il n'apparait pas à la fin et envoie Athéna. Il n'a pas le courage de confronter Créuse et son fils.
Une pièce aux accents très actuels donc.