L'évènement, pour
Annie Ernaux, son avortement en 1964, onze ans avant la loi Veil, c'est le sien, et surtout pas ce
lui d'autres femmes dans la même situation
La situation qu'elle décrit, un peu
Maupassant, de la jeune ouvrière (elle est étudiante, boursière, mais passons), de la pauvre, en tous cas, engrossée par … bon, c'est un étudiant, elle retourne le voir pour passer des vacances aux sports d'hiver, quand même, les mois passent mais elle ressasse le fait qu'elle est d'une classe sociale défavorisée.
A-t-elle, cette
Annie Ernaux, conscience que des filles de milieu bourgeois sont un peu dans la même situation ? (Elle n'a pas complètement tort, les jeunes aisées prenaient le train pour la Belgique, elle, elle va au sport d'hiver.)
A-t-elle, cette
Annie Ernaux, conscience qu'elle n'est d'ailleurs absolument pas la seule « pauvre » à devoir recourir à l'avortement ?
Vous me suivez, c'est elle qui a subi l'avortement, elle et elle seule qui a souffert, et la mort de Kennedy, au même moment, cela ne l'intéresse pas du tout.
. Or, nous dit
Simone de Beauvoir :
« Un million de femmes se font avorter chaque année en France. Elles le font dans des conditions dangereuses en raison de la clandestinité à laquelle elles sont condamnées, alors que cette opération, pratiquée sous contrôle médical, est des plus simples.
On fait le silence sur ces millions de femmes.
Je déclare que je suis l'une d'elles. Je déclare avoir avorté.
De même que nous réclamons le libre accès aux moyens anticonceptionnels, nous réclamons l'avortement libre. »
Elle se justifie de n'avoir pas signé le manifeste des 343 femmes, en 1971, dont
Gisèle Halimi,
Simone de Beauvoir,
Catherine Deneuve qui risquent, elles, de perdre leur carrière et leur statut, et qui se feront traiter de « salopes » : parce qu'elle « n'était rien ».
Il est vrai, en 1971 elle n'était rien dans le milieu littéraire et n'aura le prix Renaudot qu'en 1984 après
La place.
Ceci dit, son livre est utile en ce qu'il rappelle ce temps où les drames, réels, liés à l'avortement : la recherche d'une solution à un interdit, et ses suites dramatiques, comme l'hospitalisation après hémorragie, au curetage parfois pratiqué par des médecins cathos, quand ils ne laissaient pas tout simplement l'hémorragie continuer, devaient être subis par les femmes après avoir avorté.
«
Les armoires vides », en 1974 puis « l'Évènement », en 2000, sont donc deux livres tout à fait utiles.
« Que la forme sous laquelle j'ai vécu cette expérience de l'avortement -la clandestinité-relève d'une histoire révolue ne me semble pas un motif valable pour la laisser enfouie-même si le paradoxe d'une loi juste est presque toujours d'obliger les anciennes victimes à se taire, au nom de « c'est fini tout ça », si bien que le même silence qu'avant recouvre ce qui a eu lieu. »
Comme Isa@isacom l'a bien souligné, justement, ce n'est pas fini tout ça, et le calvaire de femmes obligées de recourir à des « faiseuses d'ange » n'est pas du tout inenvisageable dans certains pays et sous des régimes proches de nous.