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Les princes de l'étang aux Finnois » est une ode à la nature où les paysages défilent sous vos yeux semblable à un long métrage dont les plans soignés vous plongent dans une intense rêverie. Son auteur,
Lars Elling dont c'est le premier roman, est également artiste peintre. Pas de hasard de retrouver dans ses mots des descriptions poétiques de la nature et des êtres vivants qui la peuplent. La langue est magnifique, les scènes de « nature writing » d'une remarquable précision et d'une formidable intensité. Tout est fait pour que le lecteur plonge dans ce récit avec la certitude de vivre un moment hors du temps, dans un autre espace où les personnages et les lieux vont prendre possession de lui.
Nous sommes en 1985, Filip vit près d'un pommier qui marque une séparation nette entre deux maisons. La sienne, où il vit avec son père surnommé Chef, sa mère, sa soeur et son grand-père Arnstein, dit le Vieux. de l'autre côté du pommier, habite Truls, le petit frère du Vieux et sa femme. Ces deux frères ne se parlent plus depuis de nombreuses années bien qu'enfants, ils aient partagé une tendre complicité et des liens indéfectibles. Arnstein, souffre des poumons et n'en finit pas de mourir… Au gré de ses aller-retour à l'hôpital et de ses étouffements intempestifs, et parce que la mort rôde sans cesse près de lui, il bénéficie des visites régulières de Filip. Une connivence naît progressivement entre eux, qui va amener Arnstein à se confier à lui et lui raconter ses jeunes années passées avec Truls, sous l'égide d'un père à l'éducation sévère, surnommé le Kaiser qui n'aura de cesse que d'endurcir ses petits garçons à l'aube de la Grande Guerre qui pointe son nez. le récit bascule alors en 1914, à Nordmarka. Les deux frères ont 9 et 13 ans et vont devoir apprendre à se débrouiller seuls en pleine nature. «
Les princes de l'étang aux Finnois » joue sur ces deux temporalités tout en mettant en lumière les relations père- fils, celle d'Arnstein et de Truls avec le Kaiser, mais aussi celle de Filip avec le Chef et le Vieux.
Jadis, la demeure où vit Filip était une seule et même entité. Au moment du partage des terres, un pommier Starholm a délimité deux habitations distinctes : le 8A et le 8B. Autour de lui se joue une guerre des pommes qui donne le ton et envoie des messages subliminaux à coup de pelletées de fruits pourris envoyés d'un côté ou de l'autre. Les femmes qui alimentent ce petit jeu suivent les directives de leurs hommes respectifs, car dans ces deux familles, elles n'ont que peu de place et assez peu d'importance. La « Maison » est un lieu où les hommes font la loi et chacun se plie à leurs desiderata. Dans le passé ou dans le présent, les hommes de la famille gèrent l'éducation des enfants et principalement celle des fils. La figure paternelle est omnisciente, il ne viendrait à l'esprit de personne de contredire le moindre mot. L'alternance dans le temps des perspectives narratives oblige le lecteur à une certaine concentration, car les passages dans le passé (l'enfance d'Arnstein et de Truls) sont insérés dans le présent (la vie quotidienne de Filip). Mais «
Les princes de l'étang aux Finnois » concerne avant tout les aventures des deux frères en 1914 et la révélation du secret de leur brouille dans le présent.
Dans ces temps révolus, le lecteur navigue entre « Et au milieu coule une rivière » et les romans de
Marc Twain, entre Tom Saywer et Huckleberry Finn. On se croirait vraiment dans les grands espaces américains, mais nous sommes bien en Norvège. Grâce aux confidences du Vieux, Arnstein et Truls retrouvent leur jeunesse. le lecteur assiste alors à leurs échappées belles : de grandes ballades dans la nature, des baignades dans le lac, leurs innombrables pêches à la mouche, l'observation des lucioles et autres insectes qui peuplent les lieux. Jusqu'à ce fameux été où leur père, le Kaiser les envoie en « stage de survie » seuls, en pleine forêt d'Oslo avec pour seuls bagages, sac de couchage, cannes à pêche et couteau. C'est pour «
Les princes de l'étang aux Finnois » l'occasion de renforcer encore leurs liens. Les lieux sont enchanteurs, la narration exquise, la vie aventureuse conditionne les deux garçons à devenir des hommes.
Parallèlement, pendant que le Vieux raconte ces temps-là, une relation singulière naît entre lui et Filip. Ils partagent un moment hors du temps, apprennent à se connaître et à s'apprécier, et s'ouvrent progressivement l'un à l'autre. Fort des descriptions précises du grand-père et des détails qu'il donne, Filip qui veut devenir peintre, fixe des images dans son esprit, les emmagasine et essaie de les retranscrire sur du papier. Les confidences aident à faire émerger la créativité du jeune garçon, son esprit foisonne de scènes et de lieux, le processus créatif se met en marche. En sus, lentement, les secrets familiaux se dévoilent ainsi que les origines de la brouille, ce qui donne au lecteur un point d'ancrage dans la réalité.
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Les princes de l'étang aux Finnois » est un véritable voyage littéraire et pictural, une immersion profonde dans un univers où la nature est aussi le personnage principal, et où les paysages, les saisons et les éléments naturels sont décrits avec un vrai talent. Je me suis sentie privilégiée d'entrer dans ces mondes enchantés qui m'ont offert une évasion bienvenue et précieuse. Se perdre dans ces lieux sauvages et intacts ont généré une véritable source de détente et de calme.
Lars Elling place le lecteur dans ce décor fourmillant de vie pour être le témoin privilégié de relations humaines qui se tissent. Les expériences de vie et les souvenirs d'enfance de Arnstein et Truls renforcent la connexion émotionnelle du lecteur avec eux. La naissance de la relation entre Filip et son grand-père, la transmission de l'histoire familiale à la génération suivante nous connecte à leurs racines communes, comme ce pommier situé au coeur de deux terrains distincts qui n'en sont finalement qu'un seul. Et au milieu de cette banque d'images et de mots, l'art prend toute sa place, qu'il soit pictural ou scriptural. Et si «
Les princes de l'étang aux Finnois » n'était finalement qu'une mise en abîme de l'art dans sa globalité ?
Un moment de grâce…
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