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En bas, dans la vallée »
Paolo Cognetti (Stock, 150p)
Un magnifique roman !!!
Dans la vallée italienne de la Valsesia, au pied du Mont Rose, la nature est aussi grandiose que rude. A la fin des années 90, deux frères s'y retrouvent, après une longue séparation. L'aîné, Luigi, demeuré au pays, agent de l'Office des Forêts local, est marié à Elisabetta, qui a abandonné ses études et les artifices de la capitale lombarde pour épouser autant l'homme que la nature, travaillant sans regret comme serveuse dans un restaurant du bourg.
Fredo, le cadet solitaire, tout en violence rentrée, qui avait fui des années plus tôt vers les grands espaces canadiens après de lourdes bêtises de jeunesse est de retour vers son hameau d'enfance. le père est mort, il faut liquider devant notaire le seul héritage, une maisonnette délabrée et isolée en haut de la montagne. Mais le «progrès» est en route, une station de ski aiguise les appétits, va balafrer le paysage autant qu'elle offrira du travail et des ressources.
Le roman est la confrontation entre les deux hommes, dans des retrouvailles qui hésitent entre une fraternité à retrouver, la méfiance, des manières si distanciées de voir le monde ; même l'abus d'alcool, qu'ils ont en commun, met parfois l'ainé, plutôt sage, dans une forme de repli et d'abattement, quand il fait courir à l'autre le risque d'explosion de la cocotte-minute d'agressivité qui bouillonne en lui. La tension est palpable, le dérapage pas si loin.
Le premier chapitre inaugure le récit de manière impressionnante, narrant la rencontre entre une jeune chienne et un terrible chien sauvage (à moins que ce ne soit un loup qui met à bout les villageois ?) ; une bonne part d'anthropocentrisme certes (l'auteur se glisse dans les «pensées» de la jeune chienne et parle des «amants»), mais c'est magistralement beau, d'une poésie sauvage. La suite est polyphonique, le regard de chacun des trois personnages éclairant successivement l'histoire et ses rebonds. L'écriture est belle, sensuelle, imagée.
«Il chercha son whisky et ne trouva que le fond de son verre.»
«(Elisabetta). Les manoeuvres la passaient aux rayons X à chacune de ses allées et venues.»
«(son verre). Il en descendit aussitôt la moitié cul sec. La bière alla directement finir là où il avait besoin d'elle.»
«Elle se rappelle qu'avant, les bergers qui empestaient l'étable et le parfum la faisaient sourire, parce qu'ils se parfumaient sans vraiment s'être lavés, et se dit : tout le monde pue de la vie qu'il mène, et il y a de quoi être fier.»
«Dix ans en arrière, il y aurait bien emmené Elisabetta se baigner, mais pour les baignades, il y avait un temps dans la vie, un temps qui passait sans qu'on se l'explique.»
Adret et ubac, les hauteurs dans la lumière et le fond de vallée dans l'ombre, solitude et amour, liberté et soumission sont au coeur de ce roman, très «nature-writing», qui se clôt sur une belle poésie de cinq pages, «La bataille des arbres», (et une note de l'auteur d'une dizaine de pages, qui ne rajoute pas grand-chose, à part me faire découvrir «Nebraska», de
Bruce Springsteen).
A lire, à offrir, peut-être le meilleur Cognetti, peut-être encore meilleur que «Huit montagnes»