Une version romancée, fantasmée, réécrite, fausse même, néanmoins passionnante de la conquête spatiale. On y trouve la même folie des hommes que dans
Miroitements du même auteur, l'entêtement radical de ces illuminés de la course au progrès technique, étrangers à leur propre époque et à leur propre monde, obsédés par leur cause, à deux doigts de tomber dans le génie ou l'absurde.
Ce qui rend
le Jardin de Kanashima encore plus intéressant, c'est que
Pierre Boulle a pris le parti de le rédiger et même de le publier en plein milieu de la course à l'espace. Il prend la seconde guerre mondiale comme point de départ et s'intéresse à un groupe d'ingénieurs Allemands qui se dispersent aux quatre coins du monde à la capitulation, offrant leurs services à l'un ou à l'autre des vainqueurs ou des vaincus.
Au-delà d'une chouette histoire racontée avec le sérieux habituel d'un
Pierre Boulle, on plonge la tête la première dans
L Histoire avec un grand H, que ce soit au travers des évènements racontés ou, plus précieux encore, l'idée que s'en faisait un contemporain éclairé. Sur le dernier tiers, l'auteur n'hésite pas à faire du Jardin de Kanashima une tentative (très audacieuse) d'anticipation, et d'imaginer ce qui pourrait se passer demain alors que la course à l'espace bat encore son plein. La conclusion qu'il imagine est à la fois surprenante, poétique un peu, mais loin d'être idiote ; surtout, elle en dit long sur l'état d'esprit de son époque. Un bouquin vraiment passionnant, qui m'a causé d'arriver au travail les yeux rouges et veinés comme une carte de Meurthe-et-Moselle, faute d'avoir pu m'empêcher de lire encore un petit chapitre, et un tout dernier, et puis encore un autre....et zut, v'la le réveil !