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EAN : 9782714481481
240 pages
Belfond (14/03/2019)
4.08/5   371 notes
Résumé :
C'est l'histoire de Pauline et Clémence, deux fillettes inséparables, deux sœurs vivant près des champs de cannes à sucre, qui un jour, en allant chercher de l'eau à la rivière, sont enlevées, jetées dans un avion, séparées, et qui devront affronter bien des épreuves avant de comprendre ce qui leur est arrivé. Il ne s'agit pas d'un conte pour enfants, même cruel, mais de la véritable histoire des exilés de la Creuse, un transfert massif d'enfants venus de l'île de l... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (141) Voir plus Ajouter une critique
4,08

sur 371 notes
L'exercice était difficile , relater un épisode peu glorieux du " transfert " dans les départements français en "mal d' équilibre démographique " d'enfants de la Réunion....Le " terrain " était "ciblé " , les familles en grandes difficultés pour qui la métropole représentait pour l'avenir de leurs enfants un incroyable Eldorado , une planche de salut salvatrice pour des milliers d'enfants ...Sauf que le véritable dessein était bien loin de cet élan de générosité de la " mère nation " , en témoigne le peu de documents relatant cette " déportation " , et surtout , cette omerta , cette chappe de plomb qui "couvrait " l'événement.." Dans les années dont on parle , j'allais au lycée de garçons de Guéret et jamais je n'ai entendu parler d'un quelconque trafic d'enfants , et si nous avions dans les classes de jeunes à la peau plus mate que l'ensemble des autochtones , ils étaient nos copains , on partageait avec eux les avantages et inconvénients de la vie lycéenne, on draguait , on jouait au foot , sans exiger de savoir , de vérifier, de contrôler.....C'était les copains , les copines , on se marrait, on s'engueulait parfois , on se prenait un coup pour avoir trop longtemps lorgné sur la petite amie d'un plus grand ....C'était ça la vie avec , parmi nous , des jeunes dont la" différence " n'était qu'un mystère de plus dans la longue liste des parcours souvent chaotiques des jeunes insouciants que nous étions....
Par contre , l'âge aidant , les blessures se rouvrent , au hasard de la découverte d'un document mal caché, d'une remarque , d'une interrogation , d'une information qui éclate comme une bombe et vient détruire " un ordre " finalement bien établi ....La naïveté, l'insouciance , la résignation s'estompent face au besoin de savoir ...On ne peut vivre indéfiniment sans comprendre qui on est , d'où on vient ....Souvent , on puise sa force dans l'obstination de " suivants " les enfants de la seconde génération qui , avec le recul , veulent , avec raison , je crois , retirer tous les liens de leur passé .
C'est par le " biais " de ce profond désir de vérité qu' Ariane Bois nous fait partager le quotidien de Pauline Isabelle et l'entêtement de Caroline ....C'est alors l'humain qui s'exprime , qui se prend en charge pour reconstituer le labyrinthe de l'existence , qui pallie l'hypocrisie d'une administration bien silencieuse et d'une population bien ignorante .
Grâce à Ariane Bois , j'ai pu remonter" un peu" , un tout petit peu à cette époque où....Un roman plein de sensibilité, de peur , d'effroi , d'incompréhensions , d'interrogations , de "beaux" personnages qui , à un moment de ma propre histoire , se sont trouvés là, près de moi ....Ceux et celles que j'ai côtoyés portaient sur eux l'envie de vivre , mais quelles interrogations peuplaient leurs pensées , peuplaient leurs rêves....Quant à nous , potaches creusois , la seule excuse me vient de Daniel Guichard , " Mais quand on a juste quinze ans , on n'a pas le coeur assez grand , pour y loger toutes ces choses - là, tu vois , c'est con...".
Un sujet difficile traité avec tact . Un roman qui mérite l'attention du plus grand nombre d'entre nous .
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Non mais vraiment... Aucun lecteur ne demande à un auteur, quel qu'il soit, d'écrire le livre du siècle. Je suis moi-même de ceux qui pensent qu'en matière de littérature, les coups de coeur se font rares, que la lecture d'un livre, très souvent, ne fait que procurer un moment de plaisir, ce qui n'est déjà pas si mal. Mais quand-même...

Voilà un thème qui pourtant ne manque pas d'intérêt, puisqu'il est question de ces milliers d'enfants Réunionnais qui, de 1963 à 1982, ont été arrachés à leur famille, et "transplantés" sans autre forme de procès en France métropolitaine, dans le département de la Creuse. Opération qui, officiellement, avait pour but de palier la désertification de certaines régions, et de désengorger l'île où la démographie explosait et le chômage sévissait...

Je me demande ce qui est passé par la tête d'Ariane Bois pour qu'elle se permette de servir pareille salade à son lectorat.

Outre l'écriture qui est on ne peut plus ordinaire, et ponctuée de platitudes là où l'auteure a sans doute vu des figures de style, j'en veux pour preuve : "La Creuse nous a creusés", "cette créature fatale, fatalement étrangère", et encore un jeu de mot pas très fin entre "Réunion" et "désunion", Ariane Bois n'a eu de cesse d'asséner au lecteur une batterie d'invraisemblances.

Comment se peut-il qu'on soit noir ou foncé de peau, peu importe, qu'on ait deux parents de type Caucasien, et qu'on tombe des nues et pique sa crise lorsque, à l'âge de
dix-sept ans !!!, on apprend qu'on est un enfant adopté ?
D'autant qu'à l'époque, les habitants de ces régions savaient pertinemment ce qui se tramait chez eux, et rien n'a filtré...

Alors de deux choses l'une : Ou l'auteure me prend pour une fieffée imbécile, ou la nature humaine a sacrément changé sans que je m'en aperçoive.

Est-il plausible qu'on soit plusieurs à table et que, contre mon gré ! Ni vu ni connu un homme glisse sa main sous la table et me pénètre avec son doigt ? Quelle énormité...

Je veux bien que cette auteure, visiblement en mal d'inspiration, tente en désespoir de cause de me faire avaler deux ou trois pilules, mais là, elles sont tout de même un peu indigestes.

Il tombe dans ce livre une telle averse d'incohérences, que je pourrais en citer d'autres, comme le cas de cette protagoniste qui, suite à une encéphalite limbique perd la mémoire, mais qui, page 182, dit avoir été rongée toute sa vie par la culpabilité. "J'étais ta grande soeur, je devais te protéger, j'ai échoué". Un peu étrange quand-même ; Je croyais qu'elle avait perdu la mémoire...

Pour terminer, je préfère penser que ce ramassis d'invraisemblances a échappé à Ariane Bois, même si celà ne se devrait pas, bien évidemment. Mais de mon point de vue, le contraire serait un manque de respect pour son lecteur, une façon on ne pourrait plus explicite de lui dénier toute capacité d'analyse.






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.
1963 ...
L'île de la Réunion présente une situation démographique explosive et un fort taux de chômage . En métropole , l'exode rural provoque la désertification de certains départements comme la Creuse , le Gers ou la Lozère .
Alors , Michel Debré , premier ministre de Charles de Gaulle et député de la Réunion décide d'organiser la déportation d'enfants réunionnais , des bébés parfois . Déplacés comme de simples choses . Leur traumatisme est complètement occulté .

Ils sont choisis dans les familles les plus démunies : souvent analphabètes , les parents se laissent duper . Sur promesse d'avenir meilleur , on leur arrache leurs enfants , ils ne les reverront jamais .
On leur avait pourtant dit qu'ils reviendraient pour les vacances ...

Et , s'ils se rebellent , ne veulent par partir , c'est le foyer disciplinaire sur l'île " Hell-Bourg " , un bagne pour enfants pour les forcer à accepter ce voyage sans retour .
Déracinés , ils arrivent bien souvent en souffrance extrême car séparés et effrayés .
Certains , les plus chanceux seront adoptés , d'autres iront en famille d'accueil et parfois , placés dans des fermes , ils seront exploités comme des esclaves . La maltraitance n'est pas le souci premier des services sociaux .


C'est sur cette tragédie historique qu'Ariane Bois a bâti son ouvrage .
On va suivre l'évolution de deux petites filles et de leur descendance qui nous réserve bien des surprises ...
L'accent est mis sur la quête d'identité entravée par les non-dits ou les mensonges , le déni et autres impacts psychologiques .
Elle aborde aussi les méthodes éducatives de l'époque et les droits de l'enfant inexistants .


Malgré la connaissance de ce drame , plonger vraiment dans l'effroyable réalité est un bouleversement .
Ce récit , s'il prend une allure fictive , a cependant la force et la justesse d'un excellent documentaire et ses personnages , judicieusement choisis , le servent parfaitement .
De surcroît , c'est vivant et bien écrit .
Malgré la dureté du sujet j'ai beaucoup apprécié cette lecture . Il n'y a pas d'excès , pas de voyeurisme , pas de pathos . Les choses sont dites , le ton est juste .

Je remercie beaucoup l'équipe de Masse Critique et les Éditions Belfond .
Un cadeau qui m'a permis de revenir vers Ariane Bois .
Après " Dakota Song " , c'est le deuxième ouvrage de l'auteure que je découvre et que j'apprécie . Alors ... à suivre bien sûr !

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****Acquis en avril 2019--- Lu 16 septembre 2020

Une grande et violente émotion et rage… en découvrant cet « incident »…si peu glorieux du gouvernement français…Et je salue le plume très efficace de Ariane Bois. Une lecture bouleversante, qui laissera des traces !

Années 1960… il faut repeupler les campagnes françaises en pleine désertification… et ce Bon Monsieur Debré, ministre de De Gaulle, ne trouve pas mieux que d'aller faire enlever, sans la moindre considération , les enfants des réunionnais les plus pauvres, démunis…en séparant, en plus, comble de la cruauté, les fratries…en les rapatriant en France, dans les différentes campagnes dépeuplées, en premier, La Creuse !

« Il passe tant de temps seul qu'entendre sa voix le surprend, comme s'il s'agissait de son fantôme. Pour s'inventer une compagnie, il parle aux arbres.
- Moi, je vais à l'école.
- Eh bien, tu en as de la chance. je vais voler chemin [ : "Fuguer" ] si ça continue .(...) ici, même les oiseaux volent sur le dos pour ne pas voir la tristesse des champs. » (p. 46)

Ce petit garcon, Gaëtan, se retrouve “bête de somme », souffre-douleur dans une ferme de la Creuse, enfant enlevé à sa famille sur les ordres de l'Etat français, comme tant d'autres enfants de la Réunion, dans les années 60. Une réalité peu glorieuse provoquée par le gouvernement français. Comme tant de personnes, j'ai découvert cet épisode très, très tardivement. L'ouvrage d'Ariane Bois a d'autant plus de mérite, qu'elle offre ainsi une sorte de réparation, d'hommage aux souffrances de tous ces enfants arrachés à leur terre, et à leur famille, à qui on a ôté leurs racines et leur histoire...

A peine imaginable qu'un « gouvernant », un politique, être humain au demeurant ( !!...) ait pu induire autant de malheurs par une décision inhumaine et inacceptable. Traiter des enfants comme des marchandises, des paquets… allant de foyers en familles d'accueil , quand ils n'étaient pas traités comme des vulgaires « esclaves » dans les fermes de la Creuse et d'ailleurs , de la main-d'oeuvre gratuite…en somme!!

Gaëtan va trouver un bref moment un soutien, un réconfort en Pauline, petite fille de 6 ans, elle aussi, arrachée à son île et aux siens, séparée de sa petite soeur, Clémence…Une souffrance, un chagrin sans nom… et puis tant c'est douloureux… Pauline sera gravement malade, une méningite rare, et la mémoire s'effacera… plus la volonté sûrement inconsciente de Pauline de survivre à toutes ces séparations violentissimes…Pauline sera adoptée par un couple aimant et accueillant ,sauf le secret, le non-dit qu'ils ont entretenu sur les origines de Pauline, perdus eux-mêmes. Ils lui donneront même un nouveau prénom : Isabelle !

Isabelle, en apprenant les mensonges de ses parents adoptifs traversera une période de rébellion et d'autodestruction… heureusement, elle rencontrera l'homme de sa vie, avec qui elle aura deux enfants, Caroline et Sébastien ; elle reprendra une formation, deviendra fleuriste, montera sa boutique… Pour survivre, elle fera un trait sur sa vie d' »avant » , jusqu'à ce que sa fille, Caroline, étudiante –journaliste, entende à la TV cet épisode scandaleux et qu'elle interroge sa mère ; ce qui replonge celle-ci dans un état second de souffrance , de violence et de déni !…Elle se mettra à enquêter pour comprendre les traumatismes de sa maman et comprendre sa propre histoire !!

[ C'est Caroline, la fille de Pauline, qui parle ]…« Une chose est sûre: on m'a menti, volé la mémoire de ma famille. Et je ne le supporte pas, la rage m'habite désormais. est-ce sa faute, celle de mes grands- parents, de l'état ? le besoin de savoir m'éperonne. (p. 123)” .

Texte de qualité, documenté, qui à travers le destin de Pauline, de son histoire, de son enfance saccagée, de sa reconstruction, de ses enfants interrogeant avec acharnement leur « arbre généalogique » a le mérite de rendre hommage et mémoire à tous ces enfants , ainsi qu'à leurs familles, de l'Ile de la Réunion, qui ont été littéralement « sacrifiés » pour une décision
d'Etat, aberrante et dénuée d'humanité. Cet ouvrage m'a rappelée une autre lecture très lointaine, qui m'avait mise dans une colère et une rage aussi intenses : il s'agit de l'excellent ouvrage, fort documenté de Marie Rouanet, « Les enfants du bagne »…
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Hé non, dans « l'île aux enfants » ce n'est pas toujours le printemps, ce n'est pas non plus le pays heureux des enfants joyeux ! Casimir nous aurait-il menti ?
Ariane Bois nous fait part ici à travers ce roman social de la tragique pratique qui a sévit des années 60 jusqu'au milieu des années 80, pratique qui consistait à enlever des enfants de l'île de la Réunion pour repeupler les régions désertiques de la France et principalement la Creuse !
Ce roman nous fait part, à travers l'enlèvement de Pauline et sa soeur Clémence du scandale humanitaire orchestré par Michel Debré. Ces deux petites filles se retrouvent, comme bien d'autres, déracinées et placées en famille d'accueil. A leur arrivée en France, ces deux petites filles 6 et 4 ans sont séparées. On va suivre avec beaucoup d'intérêt le destin de Pauline dans la première partie du livre puis on fera dans la seconde partie , connaissance de Caroline, la fille de Pauline. Avec cette dernière, on va renouer avec l'île de la Réunion et tenter de retrouver, de retisser, de renouer des liens avec les racines de Pauline et Clémence . On partira alors avec Caroline…
Ce livre est émouvant et met en avant, une fois de plus, les secrets de famille, les non-dits, l'identité. Ce livre est très agréable à lire mais je le trouve un peu léger. le thème est grave et la façon dont est traité ce sujet ne met peut-être pas assez l'accent sur l'effet destructeur de l'horreur qu'a connu tous ces enfants. le côté romanesque, presque « feel good » permet de passer un moment très agréable mais fait aussi relativiser l'aspect tragique de l'histoire ce qui peut être dommage.
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INCIPIT
3 novembre 1963
— Ah non ! À mon tour de jouer avec la toupie, proteste Clémence.
La petite tend une main impérieuse vers le jouet que sa sœur a fabriqué avec une graine de litchi et une allumette.
— Avance, plutôt : cette fois, je ne te porterai pas, répond celle-ci d’un air faussement sévère.
Pauline ne peut rien refuser à Clémence, c’est ainsi depuis sa naissance.
Comme chaque jour, les fillettes cheminent vers la rivière du Mât avec leurs seaux vides. Aller chercher l’eau, la rapporter sans renverser une goutte, voilà leur tâche. À la case, tout le monde travaille. Leur père coupe la canne à sucre à grands coups de sabre partout dans l’île, ne revenant que le dimanche, et en pleine saison seulement une fois par mois. À chacun de ses retours, ses mains calleuses chatouillent les filles en guise de bonjour ; et le soir, à la lueur de la lampe à pétrole, leur mère veille tard à ôter les échardes et les dards qui s’y sont nichés. Papa parle fort, aime son « rhum arrangé» et dévore son assiette avant d’en réclamer une autre. C’est en tout cas l’impression des filles, qui adorent jouer sur ses genoux ou grimper sur son dos en le suppliant de « faire le cheval ».
Leur mère s’emploie comme blanchisseuse chez les riches, quand sa santé le lui permet. « Monmon », comme on l’appelle, respire mal, reste souvent couchée dans le noir, si frêle que son corps bosselle à peine la nasse lui servant de lit. Même ici, dans les Hauts, où l’air est plus frais, plus sain, elle cherche l’oxygène tel un poisson échoué au bord de la rivière. Elle se trouve à l’hôpital depuis deux semaines. Quand elle s’était plainte de maux de ventre, Pauline et Clémence avaient espéré qu’elle reviendrait avec un bébé, comme les voisines, mais le médecin avait tordu le nez, prononcé un drôle de mot, « péritonite », avant d’aller chercher une ambulance. Depuis, les filles attendent leur mère.
Par chance, il y a Gramoune, leur grand-mère, avec son visage altier raviné de rides, sa tête auréolée d’une opale noueuse qu’elle relève sur son cou, et l’odeur de beignets dont elle semble se parfumer. En cette heure, elle doit trier le riz, composer les marmites du repas du soir dans la cour, le cœur de la maison. Ce cœur s’étend au potager, où des poules et des chèvres vivent en gentils serviteurs. Aux rares moments où leur Gramoune ne s’affaire pas, elle emmène les gamines prier saint Expédit. La Réunion fourmille de petits oratoires rouges édifiés en son honneur, garnis de fleurs artificielles et d’ex-voto. On vient demander au saint un mari, un travail, un bébé ou qu’une mère époumonée retrouve la santé et revienne à la maison.
Aujourd’hui, Pauline et Clémence vont veiller à rapporter assez d’eau. Hier soir, quand la nuit s’est abattue avec sa rapidité d’ici, la famille Rivière s’est rendue à un bal-mariage. Une invitation attendue par tous. On avait dansé en rond, même Mémé Gramoune au son du sega et du maloya. Les adultes avaient beaucoup bu, s’étaient frottés les uns aux autres avec ce qui ressemblait à de la férocité. Les enfants n’en perdaient pas une miette de beignets de banane. On fêtait la fin de la pluie, un prétexte, mais c’est un fait, il avait plu une semaine d’affilée et, même en ces premiers jours de novembre, c’est-à-dire en plein été, c’était inhabituel. Au début, les averses diluviennes étaient les bienvenues, les enfants couraient joyeusement, se lavaient sous les gouttières, jouaient avec les grosses gouttes d’argent, mais quand les nuages explosaient dans le ciel, un déluge s’abattait sur les maisons, s’infiltrait sous les toits, inondait les pièces, et la malédiction commençait. La pluie formait un mur, une masse qui cognait inlassablement contre le toit de la case. La terre entière semblait hurler de terreur. La famille se retranchait à l’intérieur, épouvantée par ce fracas ruisselant, à l’affût du moindre craquement suspect. Quand la case tremblait, on craignait un phénomène pareil aux coulées de lave : on avait vu des maisons s’effondrer d’un coup. Et pourtant, tout cela n’était rien comparé aux cyclones. Ceux-ci étaient chez eux sur l’île et, quand ils s’invitaient, il fallait se cacher, s’agripper au lit et affronter l’ogre. Sous le choc, les arbres s’arrachaient à la terre dans un vacarme atroce. Chaque cyclone, disait-on par ici, cachait un esprit malveillant envoyé pour punir les hommes.
La dernière fois, la case avait tenu par miracle au milieu des citronniers et des bananiers. Quand ils étaient sortis, le sol fumait à cause de l’humidité. Le manguier dans la cour paraissait nu, déshabillé de ses feuilles, de ses fruits, qui la veille encore semblaient supplier qu’on les cueille pour soulager les branches qui pliaient sous leur poids.

— Dis, on la voit quand, Monmon ?
— Bientôt, ne t’inquiète pas.
En réalité, Pauline n’en sait rien, c’est une affaire de grands. Mais elle rassure sa cadette et la distrait comme elle peut. À la rivière, la plus large de l’île, où d’autres enfants s’éclaboussent dans l’eau si claire, c’est facile. On pêche avec un clou en guise d’hameçon, on s’amuse à faire des ricochets ou à titiller les sensitives, ces plantes timides, d’un rose pâle, qui poussent au bord des routes et se rétractent sous les doigts. Quand la faim les tenaille, les filles se jettent sur les litchis. Leur chair tendre et doucereuse dégouline alors sur le menton, délice à renouveler jusqu’à ce que le ventre crie grâce. Aujourd’hui, Pauline en a avalé une trentaine, son record. Elle l’ignore, mais il lui faudra attendre des décennies avant de sentir à nouveau la pulpe de ce fruit tapisser son palais. Car de ce 3 novembre 1963 date leur dernier moment d’innocence, le « temps d’avant ».
— Allez, on doit vraiment y aller, s’énerve Pauline. Soulève ton seau et fais bien attention !
Le retour est toujours plus pénible, avec l’anse en fer qui blesse les paumes et le soleil blanc qui brûle les épaules. Dans l’après-midi phosphorescent, les cheveux de Pauline semblent crépiter. On la remarque de loin, cette cafrine, noire d’origine, mais héritière d’une peau pain d’épice ambrée léguée par quelque ancêtre blanc, avec son sourire en étendard, ses yeux à l’iris vert mousse moiré et d’invraisemblables cheveux crépus aux boucles couleur maïs tressautant à chaque mouvement. « La fille Rivière, elle ira loin », murmurait-on sur son passage. Clémence, à la peau cuivrée, au visage rond et poupin, à la chevelure semblable à de la laine emmêlée, laissait plus indifférent.
Soudain, sur la route bordée d’hibiscus rouges, Pauline perçoit un bruit de moteur caractéristique qui se rapproche. Elle crie à sa sœur de se cacher, mais devant elle Clémence poursuit sa route, chantonne sans l’entendre. Dissimulée derrière un arbre, pétrifiée, Pauline se met alors à trembler. Cette voiture, c’est la 2 CV camionnette rouge, dite loto rouz, celle dont tout le monde dans l’île sait qu’il ne faut pas s’approcher, comme si elle était hantée.
— Clémence !
La camionnette ralentit à hauteur de la petite, une portière s’ouvre, un bras musclé l’arrache à la terre, en faisant valser son seau dans une gerbe d’eau. Un homme sort de l’habitacle et jette sa proie à l’arrière du véhicule.
Effrayée mais prête à tout pour sauver sa sœur, Pauline quitte son abri. Une femme, une zoreille à en juger par ses habits impeccables, l’interpelle :
— Bonjour, toi, koman i lé?
Tiens, l’inconnue sait le créole, mais les sonorités paraissent différentes, les lettres roulent dans la gorge de façon bizarre.
Elle fait un pas, puis deux, et le garde-chasse – c’est lui, elle le reconnaît – la saisit aux épaules, la pousse à l’intérieur, en refermant presque la portière sur elle. Piégée comme libellule dans un bocal. En pleurs, Clémence s’accroche à sa sœur, effrayée par la brutalité du type et les rugissements poussifs de la camionnette – c’est leur premier voyage en voiture. Derrière la vitre latérale, Pauline voit des cases défiler, mais aussi des maisons blanches ou pastel, aussi élégantes que leurs varangues. Elle crierait si sa gorge n’était pas si sèche. À un moment, l’automobile ralentit, stoppe, sa portière arrière s’ouvre, et l’homme enfourne à l’intérieur un autre enfant tenant un cerf-volant en feuille de coco. Tétanisé, le petit malbar se blottit contre elles. Bientôt, une odeur de pipi émane de lui. Écœurée par ce remugle, chahutée par les virages de la route, Pauline sent la nausée l’envahir. À côté d’elle, le petit corps de Clémence vibre et son haleine tiède lui souffle au visage.
Où les emmène-t-on ?
Jamais, paraît-il, on ne revoit les enfants capturés par la voiture rouge…
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D'une blancheur étincelante, les tombes croulent sous les fleurs naturelles, les bouquets artificiels, les ex-voto. Rien de funèbre, contrairement à l'usage ne métropole, ici, la vie insiste, se faufile entre les centaines de sépultures. Les Réunionnais vouent un culte fervent à leurs ancêtres. Nous cheminons en silence sur un sentier bordé de frangipaniers, penchés vers le sol comme par une main invisible qui nous rappellerait au recueillement, à l'humilité. Des monuments hindous parés de rouge vif ou de rose, des sacrifices, des offrandes chinoises cohabitent harmonieusement. Ce cimetière réunionnais est un voyage à lui tout seul : les religions s'y côtoient, partagent la même mémoire, patientent dans la même espérance. Nous voilà dans la partie la plus modeste du cimetière, celle où les pirates, m'apprend-on, sont inhumés au voisinage des naufragés de catastrophes maritimes.
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Entre 1963 et 1982, plus de mille six cents enfants ont été arrachés à leur île, La Réunion, à leurs familles, à leurs racines. Ces mineurs, dont certains n’étaient que des bébés, furent transférés dans notre région, la Creuse. Devenus adultes, certains s’interrogent aujourd’hui sur ce qui a pu motiver un tel exil forcé.
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Est-ce ma faute? Suis-je responsable de son état? En grattant la couche de passé, n'ai-je pas ouvert un gouffre où nous allons glisser toutes les deux? La culpabilité palpite au rythme de mon cœur. Alors je parle trop, papillonnant d‘un sujet à l’autre, tentant de lui arracher un sourire, un éclair, l’obligeant à manger un peu, dans l‘espoir qu’elle se remplume.
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- Pourquoi cette histoire ne sort-elle que maintenant ? s'enquiert une femme en pleurs à l'antenne.
- Tout a été prévu pour dissimuler la vérité, tonne l'élu communiste. En 1963, elle n'intéressait personne. Seuls le PC et son journal, -Témoignages, sont montés au front. Les élites, l'Eglise, l'armée, les maires, les assistantes sociales sont coupables de fait, de complicité ou de silence. Tout le monde a eu honte d'avoir peu ou prou participé à cette histoire. D'où la violence d'un refoulement collectif dont on sort à peine. (p. 156)
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