Dans l'avion du retour, Etienne, photographe de guerre, laisse derrière lui une image qu'il n'a pas faite, lui ayant valu d'être pris en otage.
Cette image, il se la remémore : c'est celle d'une mère donnant des bouteilles d'eau à ses enfants, avant de fuir la ville à l'arrière d'une voiture noire. Une mère qui sauve la vie.
Sur le tarmac, une autre mère attend, la sienne, avec ses « soupirs suspendus dans le coeur ».
Mais de son retour de captivité, il laisse surtout une porte entrouverte sur une part d'ombre, qui viendra s'ajouter à une autre part, d'absence celle-là, de son père. L'incomplétude des êtres agit comme un leitmotiv dans ce roman, elle les aimante parfois, à l'instar des amis d'enfance d'Etienne : « La part absente ne peut contenir aucun amour. Chacun d'eux trois avait la sienne et chacun la jouait dans leur trio. »
Absences qui vont parfois jusqu'à s'inscrire dans leur propre itinéraire, comme Etienne lui-même, dont l'ancienne compagne se plaignait d'être prise en otage à cause de ses départs incessants...
C'est cette part d'otage en chacun de nous que
Jeanne Benameur questionne, part que nous n'atteignons pas toujours.
Son écriture envoûtante sillonne dans ces zones d'ombre, elle dessine les contours du vide, de l'absence, de l'incomplétude, en creusant les non-dits, les silences indicibles.
Avec en filigrane une autre part d'ombre, essentielle celle-là, que tutoie la mère : « Celle qui a fait naître atteint cette évidence, dans une part opaque d'elle-même. Elle sourit elle pleure de joie et de longue fatigue, autour d'elle on se réjouit mais elle, elle a touché à l'endroit sacré : la vie et la mort ne sont pas unies, elles sont juste jointes, et elle n'aura jamais assez de ses deux mains pour prier. »