Lucrezia se tourna vers lui, plantant son regard dans le sien.
- Mettez-vous à sa place, Thomas. Il est jeune, il n’est probablement jamais sorti de son village et se retrouve du jour au lendemain dans un lieu qu’il ne connaît pas, entouré d’inconnus et sans savoir ce qui lui est arrivé. Il a paniqué, rien de plus, il n’est pas nécessaire de l’acculer davantage… Croyez-moi, cette petite leçon sera amplement suffisante.
Thomas croisa les bras sur sa poitrine.
- Si la reine me demande, je ne lui mentirai pas.
- Très bien… Je ferai en sorte qu’elle ne vous le demande pas, dans ce cas.
Le capitaine gloussa.
- Tout de même, nous aurions dû le laisser partir et voir combien de temps il tenait à cheval.
Lucrezia, qui était restée impassible, étira un faible sourire.
- Je vais vous faire une confidence, capitaine… J’ai hésité aussi.
- Bien, je t’attends dans le couloir, annonça Lucrezia, qui avait déjà tourné le dos en direction de la sortie.
- Vous ne restez pas ? s’inquiéta le jeune homme.
- Non. Je pense que tu dois faire cela seul… Et puis la reine m’a dit que cet endroit était probablement hanté… Je préfère patienter dehors… Si tu as un problème, tu n’auras qu’à hurler. Je reste dans le coin.
Simon ne put s’empêcher de sourire.
- Auriez-vous peur des fantômes ? Vous ?
- Tous les assassins ont peur des fantômes. On ne peut tuer ce qui est déjà mort.
Elle disparut dans le tunnel, emportant avec elle l’unique source de chaleur mais aussi de lumière. Simon se retrouva dans un silence effrayant avec pour seul éclairage les rayons lunaires.
Les cauchemars qui l’avaient laissé tranquille ces dernières semaines reprirent de plus belle après les révélations de la reine. Cette fois, ce n’était pas une ombre menaçante dans une pièce en flammes qui l’effrayait, mais bien cette mystérieuse dalle qui semblait l’appeler dès qu’il fermait les yeux. Que contenait-elle exactement ? Chaque rêve était différent, tantôt un couloir sombre sans fin, tantôt des spectres de couleur pourpre criant son nom, l’obligeant à les rejoindre, l’aspirant sans qu’il puisse se débattre.
- Mais qu’est-ce que tu fais ? demanda une voix près de lui.
Simon hurla de terreur, faisant résonner son cri dans les couloirs. Il sursauta si violemment qu’il manqua de tomber à la renverse.
- Mais… Mais, qu’est-ce que vous faites ici ? cria-t-il.
Lucrezia tourna successivement le regard vers lui et la statue. Simon lui en lança un horrifié. Avait-elle réellement vu ce qu’il venait de faire ? Son esprit se mit à l’imaginer sur le bûcher, sacrifié comme un vulgaire sorcier, et cette vision lui donna la nausée.
- La peur que tu ressens est naturelle. C’est grâce à elle que nous évitons le danger, mais elle ne doit pas contrôler ta vie et t’empêcher de la vivre pleinement.
L’angoisse et la solitude le prirent au ventre comme un coup de poing, ou était-ce peut-être la douleur ? Hormis les femmes de chambre venues changer les couvertures de son lit, Simon ne revit pas d’autres humains de la journée et l’angoisse fit place à la peur, plus tard dans la soirée, quand il pensa qu’on l’avait définitivement oublié. Le silence pesant de la pièce et la nuit qui commençait à tomber ne le rassuraient pas.
Edmund prit tout à coup un air sombre.
- Si je puis me permettre, pourquoi continuer à vous torturer ?
Lucrezia sauta de la table.
- C’est mon fardeau, se contenta-t-elle de répondre en rangeant les herbes dans la poche de ses braies.
- Le passé ne mérite pas que l’on s’y attarde. Allez de l’avant, ou votre culpabilité vous conduira à votre perte.
Lucrezia ouvrit un œil pour caresser son compagnon. La migraine la faisait souffrir, provoquée par des fantômes dont les cris d’effroi hantaient ses pensées. Sa discussion avec Edmund avait ravivé son passé. Malgré les maux qui brouillaient ses sens, elle put reconnaître le jeune homme qui n’avait pas osé s’approcher.
- Que lui as-tu raconté ? demanda-t-elle d’un ton soupçonneux.
- La stricte vérité, répondit Hélène, un sourire narquois figé sur ses lèvres.
Elle arqua un sourcil.
- La vérité a parfois plusieurs visages. Je suis sûre que tu ne lui as pas tout dit.
- Ce que je lui ai dit est amplement suffisant.
Lorsque les lumières du Nord embraseront le ciel de Kalhem, deux garçons nés pendant l’enlacement du soleil et de la lune répandront la fièvre noire, semant chaos et ténèbres.