Jardin de printemps de
Tomoka Shibasaki aux éditions
Philippe PicquierJardin de printemps, c'est d'abord un livre de photographies, celles d'une maison bleue avec son jardin au coeur de Tokyo, instantanés de la vie d'un couple heureux il y a une vingtaine d'années.
Les saisons passent, les locataires aussi. Ils se rencontrent, se croisent. D'un balcon ou sur un chemin, ils sont comme aimantés par cette maison endormie.
Dans ce roman amical et rêveur, tout est en léger décalage, au bord de chavirer, seuls les lieux semblent à même de révéler ce qui flotte à la surface de notre c ur. L'immeuble où habite Tarô, promis à la démolition et qui se vide peu à peu, la vieille demeure de style occidental, paradis perdu qui un jour reprend vie, réactive la possibilité du bonheur.
Qui n'a jamais rêvé de pénétrer dans une belle maison abandonnée pour en percer le secret ?
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Jardin de printemps sur le site de la librairie en ligne www.lagriffenoire.com
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Avant, elle croyait que les arbres, c'était, juste au bord des routes, dans les parcs et les montagnes à l'horizon, alors de voir que les saisons existaient aussi dans une maison, ça l'avait étonnée. Surtout que ce jardin, on ne le voyait pas de la rue, il n'y avait que les propriétaires et les locataires qui profitaient des saisons. La vie, ce n'était pas juste vieillir, c'était aussi grandir, fleurir, et si l'hiver les branches se dessèchent, ensuite les bourgeons repartent. Elle n'avait jamais eu d'animal, alors ça l'avait surprise de s'apercevoir que, dans son espace de vie, d'autres êtres vivaient indépendamment de sa volonté à elle.
Il s'était marié le mois dernier, alors il était allé là-bas rendre visite à la famille de son épouse. Celle-ci était fille unique, et comme elle possédait un nom de famille rare, le mois dernier c'est Numazu qui avait pris le nom de sa femme.
[...], songer qu'une maison qui était plus jeune que lui devait être détruite parce qu'elle était trop vieille, cela faisait pitié.
Au bout du toit, on voyait le ciel et les nuages. Il faisait si beau ce matin, maintenant des nuages se levaient. Masses de blancheur. Des nuages de plein été, bien qu’on ne fût qu’en mai. Tarô regarda les nuages gonfler et s’envoler. Dire qu’ils sont à des milliers de mètres de hauteur. Le contraste avec le bleu profond du ciel était si puissant qu’il en avait mal au fond des yeux. Tout en regardant les nuages, Tarô s’imagina marcher dessus. Il fait ça tout le temps, d’ailleurs. Il marche loin, très loin, avant d’atteindre le bord. Alors il pose les mains par terre et observe en bas. On voit la ville. Et malgré cet intervalle de milliers de mètres, il distingue avec une netteté parfaite chacune des ruelles enchevêtrées, chaque toit des maisons collées
les unes aux autres. Les voitures, comme de minuscules insectes, glissent le long des voies, un avion petit modèle coupe par le travers l’espace entre lui et la ville. Comme une scène de dessin animé, parfaitement. Il n’y a personne derrière la verrière du cockpit. Aucun bruit. Non seulement en provenance de l’avion, mais de nulle part. Et quand il se remet lentement
debout, il se cogne au plafond du ciel.
Tarô avait apporté avec lui d'Osaka le mortier et le pilon avec lesquels il avait réduit en poudre les os de son père, qui s'étaient avérés plus solides qu'il n'avait cru. Ils étaient toujours là dans son appartement. Même pendant les trois années qu'il avait vécu avec celle dont il avait divorcé trois ans plus tôt, il les avait gardés ensemble, le mortier et le pilon, rangés au fond du placard à vaisselle.
Le temps, qui s’était arrêté tant que la maison était restée à louer, repartait. Si la construction était rigoureusement la même qu’une semaine plus tôt, la présence et la couleur du lieu avaient complètement changé. Non seulement des gens vivaient à l’intérieur, mais soudain, la maison elle-même semblait revivre.[…] Or, si d’un côté la maison lui paraissait plus proche que du temps où elle était vide, maintenant c’était la maison de quelqu’un, il n’était plus possible d’entrer. Et ne plus pouvoir y entrer lui donnait plus que jamais l’envie de le faire.
Il faisait maintenant une chaleur moite, il ouvrait plus souvent la fenêtre du balcon. Non seulement la moustiquaire était déchirée sur le côté, mais elle sortait tout le temps de son rail. Il essaya de réparer la déchirure, et évidemment, elle sauta de son rail. Ca le gonfla tellement qu'il se demanda s'il n'allait pas plutôt s'en passer, mais à ce moment-là il remarqua une sorte de caillou rond coincé sur le côté droit du rail. Il s'accroupit pour mieux voir : c'était un vase. Un vase tout rond, d'un à deux centimètres, grand comme le bout du doigt.
Nishi déménagea un mardi pendant que Tarô était au travail ; quand il revint le soir, l'appartement du Dragon était vide. A première vue, devant la porte fermée, il n'y avait rien de changé par rapport à la veille, mais le noir de la fenêtre n'était pas le même que le noir d'une fenêtre où quelqu'un habite. C'était un noir de fenêtre au-delà duquel il n'y a rien, un noir de vide.
De temps à autre, on entendait la neige tomber d'un toit ou d'une branche. Ce bruit, c'était le poids lui-même. La masse de cristaux blancs aspiraient toute chaleur. Tout était refroidi, les maisons, les arbres, les câbles électriques, l'asphalte, l'air, la nuit.
Or, si d'un côté la maison lui paraissait plus proche que du temps où elle était vide, maintenant c'était la maison de quelqu'un, il n'était plus possible d'entrer. Et ne plus pouvoir y entrer lui donnait plus que jamais l'envie de le faire.