Ishi trouvait que le Blanc avait beaucoup de chance, qu'il était inventif et très, très ingénieux, mais qu'il avait quelque chose d'enfantin, qu'il manquait de réserve, et qu'il ne comprenait pas vraiment la Nature, son visage mystique, son pouvoir terrible et sa clémence.
Peut-être les cours d'eau continuent-ils à attirer les pêcheurs jeunes et vieux parce qu'il est à la fois reposant et apaisant de refaire des gestes immémoriaux, et qu'il n'est pas de nos jours d'activité ou de passe-temps qui, autant que la pêche, rapproche l'homme moderne de ses ancêtres de l'âge de pierre.
Le plus difficile était fait. Un premier phonème avait été reconnu. D'autres suivirent. Ishi était bien de la tribu perdue. C'était un Yahi, c'est-à-dire un Yana de l'extrême-sud. Waterman découvrit qu'entre les dialectes du nord et du centre, dont il avait des listes de mots, et le dialecte yahi, la différence était considérable, mais pas au point que celui-ci fût inintelligible. Ensemble, Ishi et lui essayèrent d'autres mots, d'autres phrases. La communication s'établissait. Au bout d'un moment, s'enhardissant, Ishi demanda à Waterman : « I ne ma Yani ?, Êtes-vous indien ? » Waterman répondit que oui. L'expression traquée disparut du visage d'Ishi ; il avait affaire à un ami. Pourtant, il savait aussi bien que son nouvel ami que Waterman n'était pas Indien. Sa question n'avait été qu'une tentative subtile pour rassurer et se rassurer, ce qui n'est pas si facile quand on possède si peu de sons en commun.
(...) selon Alfred-Louis Kroeber, ils constituèrent [les indiens Yahi] "la plus petite nation libre du monde qui, grâce à un courage, une ténacité et une force d'âme sans exemple, réussit à tenir tête à la marée de la civilisation vingt-cinq années de plus que Geronimo lui-même et sa fameuse bande d'Apaches".
L'infiltration et la pression blanches étaient telles que les Yahi se voyaient confinés aux parties de leur pays qui étaient inaccessibles au bétail et aux cavaliers, ce qui veut dire qu'ils étaient réduits pour vivre au pillage et au vol incessants. Ils prenaient tout ce qu'ils trouvaient.
Si désastreuse qu'ait été pour les Indiens l'invasion hispano-américaine de la Californie, elle fut, tout bien pesée, moins destructrice de vies et de valeurs humaines que l'invasion anglo-américaine.
C'était une coutume des Indiens [Yana] de se flamber les cheveux et de se couvrir la tête de poix quand ils étaient en deuil d'une épouse ou d'un proche parent.
Par la suite, c'est avec embarras qu'Ishi parlera de ce premier contact avec les Blancs. Il racontera avoir été logé dans une grande maison où il y avait un grand chef qui le traitait et le nourrissait bien. Mais ce qu'il ne dira pas, c'est que, pendant les premiers jours de sa captivité, il refusa de manger, de boire et même, au début, de dormir. Il est fort possible qu'il ait supprimé en lui tout souvenir de cette époque de surtension et de terreur. Peut-être aussi pensa-t-il qu'il aurait eu mauvaise grâce à rappeler des soupçons qui s'étaient révélés sans fondement : c'est qu'en effet, durant ces premiers jours, Ishi s'attendait à être mis à mort. Tout ce qu'il savait des hommes blancs, c'est qu'ils étaient les meurtriers qui avaient exterminé son peuple. Il est donc naturel qu'une fois en leur pouvoir il se soit attendu à être tué d'une balle, pendu ou empoisonné.
Le sauvage, émacié par les privations, les cheveux flambés court, était nu sous un vieux morceau de toile de tente déchirée, un pan de capote de chariot qui lui tombait des épaules comme un poncho. Taille moyenne. Des os longs, droits, robustes sans être lourds, qui saillaient douloureusement. Une peau d'une teinte légèrement plus pâle que la profonde couleur de cuivre caractéristique de la plupart des Indiens. Des yeux noirs, sur leurs gardes, bien espacés dans le large visage, une bouche charnue et d'un dessin agréable. Quant au reste, l'extrême épuisement et la terreur de l'Indien, tout en figeant la mobilité de l'expression, ne faisaient que souligner une sensibilité toujours présente.