« L'homme aux mille visages » de Sonia Kronlund lu par Florence Loiret Caille l Livre audio
Les raisons pour lesquelles nous mentons varient grandement, que ce soit pour le bien d'autrui, pour ne pas blesser, éviter les conflits, ou au contraire tirer un avantage de l'autre, dissimuler une faute, une erreur. Mais la plupart du temps, nous mentons pour plaire, combler notre misère, faire exister en une ou deux phrases magiques la personne désirable que nous aimerions être.
Des théories cognitives et comportementales expliquent notamment que la sidération et la peur d'être blessées réduisent notre capacité à nous protéger. C'est une piste intéressante qui s'appliquerait aussi bien aux femmes escroquées et trompées.
Marcin Magdón avait une grosse voiture
et un petit ventre.
C’est un moment dont Marianne garde un bon souvenir. En réécoutant la conversation, elle continue à se rappeler un moment de bonheur simple et joyeux. Même si elle sait maintenant que tout ça est une mise en scène et qu’il n’y avait personne au bout du fil, elle a été heureuse à ce moment-là et ce sentiment agréable traverse les années, sans être entaché de fausseté ou duperie. Elle-même en est surprise. Cette évocation m’interroge : comment cette émotion peut-elle rester intacte dans sa mémoire, pourquoi sa perception est-elle inchangée alors qu’elle repose sur une illusion ? Le plaisir, la joie, la colère, la tristesse sont-ils entièrement indépendants du vrai et du faux ?
Bien sûr, lorsque je lis Anne Karénine ou que je regarde Une femme sous influence, je sais bien que rien de tout cela n’a existé, et pourtant je suis triste, je pleure, je suis émue. Même si son objet est fictionnel, l’émotion est bien réelle. La vérité n’entre donc pas en compte.
Peut-être faudrait-il seulement parler d’émotions justes, d’émotions appropriées par opposition à celles qui seraient bidons, sans rapport avec leur objet ou déplacées.
Je comprends alors que Ricardo adapte à ses femmes son caractère, son comportement, jusqu'à son accent pour répondre à une attente qu'il devine, pour combler leurs désirs. Qu'avec un talent fou, il a trouvé ce qu'elles veulent vivre et s'y conforme.
S'inventer des vies parfaites avec des détails impeccables étaient devenus pour Ricardo son oxygène, un besoin vital.
Les hommes que j'ai aimés étaient souvent malhonnêtes, menteurs, manipulateurs. Ça me désespère mais ça doit être mon genre. Cette étrange attirance m'a suivie dans mon travail. Je me suis beaucoup intéressée aux baratineurs, bonimenteurs et autres charlatans. C'est pourquoi lorsque Marianne m'a contactée et que j'ai découvert l'histoire de Ricardo, elle s'est imposée à moi comme un nouvel objet à l'intérieur d'une quête personnelle sinueuse et sans fin. D'ailleurs, je pense que si je n'ai pas croisé la route de cet homme, si je ne figure pas dans la liste de ses victimes, c'est un simple hasard. (p. 12)
Elle cherche à se remémorer avec précision la psychologie des sœurs imaginaires, la date de la mort de la mère, les traitements qu’elle a eus, les faits, les lieux, la façon dont les événements se sont enchaînés. Elle pourrait balayer tout ça, sachant que ça n’a jamais existé, erase, mais non.
Comme on reconstitue un crime, elle insiste pour donner une version minutieuse de ce qu’elle a cru vivre et somme toute vécu.
Et ce n’est pas seulement pour qu’on la croie, ou pour donner à voir l’étendue de l’imposture. Elle y tient. Ce sont les souvenirs de son ancien avenir
p. 55 ce qui est sûr, par contre, c’est que ce genre d’expérience n’aide pas. Elles laissent des marques, détruisent l’estime de soi, et fabriquent une sorte de matrice. Le risque que les victimes récidivent, si on peut dire, qu’elles se retrouvent piégées dans le même schéma victimaire est décuplé par le premier traumatisme. Nous glissons dans cette peau comme dans un gant. L’habitude est l’autre nom de cette posture : elle s’incruste salement, comme un squatteur indésirable, un parasite. C’est ce que les psychologues appellent la « revictimisation ». […] Des théories cognitives et comportementales expliquent notamment que la sidération et la peur d’être blessé réduisent notre capacité à nous protéger. C’est une piste intéressante qui s’appliquerait assez bien aux femmes escroquées et trompées.
(...) Le psy l'ancien flic en arrivent à la conclusion que peu d'indicateurs observables sont réellement fiables, que le fait Pinocchio n'existe pas et que la seule façon d'être absolument certain qu'une personne a menti, c'est de connaître la vérité.