- C'est quoi, ces valises ?
- Les valises des gens ; ils arrivaient en train avec leurs bagages et ils écrivaient leur nom dessus pour les retrouver après, mais... on leur rendait pas. On leur prenait tout, les sacs, les cheveux, les bijoux, les... les enfants. La vie.
J'aimerais bien pouvoir me dire qu'on est tous des êtres humains, et voilà tout. Mais j'ai la sensation qu'être juif, ou fille de juif, ça implique de porter un bagage plus lourd que les autres.
Ce qu’on regarde sur terre finit toujours par disparaître derrière quelque chose, tellement la terre est encombrée. Mais dans ce ciel limpide, les oiseaux s’évanouissent tout simplement. Il y en a sûrement des milliers à voler au-dessus de nos têtes mais on ne les voit simplement pas… cachés derrière rien, juste une poussière dans l’air. J’aimerais tant me lever, étendre les bras et m’envoler, disparaître aussi, ne plus sentir le poids de mon corps attaché au bitume.
- C'est ta mère ?
- C'est ma mère.
- Elle est drôlement belle.
Je sursaute presque. Je n'avais jamais pensé à elle comme à quelqu'un de beau ou pas beau. C'était juste ma mère.
Je le regarde avec intensité pour essayer de faire ressurgir le souvenir, mais plus je le regarde et plus le souvenir s’éloigne. Comme un rêve qui ne nous laisse qu’un sentiment fugitif, et plus on tente d’en retrouver le fil, plus il nous échappe.
La sonnerie. Le branle-bas de combat. Chaque fois que la cloche sonne, on a l'impression qu'une bombe va tomber sur la classe tellement tout le monde se lève avec précipitation pour sortir. Moi, je prends mon temps.
« Vivre, ce n’est pas quelque chose que l’on fait, c’est quelque chose qui se fait sans vous, mais à travers vous, comme si l’on vous donnait à manger un aliment tantôt doux, tantôt amer, qui n’a pas besoin d’être mastiqué ni avalé pour descendre dans votre ventre. »
Il a tout compris d'un seul regard, c'est d'ailleurs assez agaçant, ces gens qui farfouillent dans votre cervelle sans demander la permission. Mais au fond, c'est peut-être à ça qu'on reconnaît les gens qui vous aiment vraiment.
Ainsi, un père serait une sorte de guide...Alors, quand on n'a pas de père dans sa vie, ça veut dire qu'on est perdu ? Q'on a pas de repère ? Pas de bras, pas de chocolat ; pas de père, pas de repère ! Et une mère, qu'est-ce que c'est, si ce n'est pas un guide ? Un abri, un refuge, une protection ? Ce serait ça, d'avoir deux parents : un qui montre le chemin et l'autre qui boutonne ton manteau avant que tu ne t'y engages ?
La première partie du livre est un chant. "Je suis de ces enfants qui frémissent quand le vent apporte les cris des oiseaux à leurs oreilles démesurées..." J'y entends des symphonies, des hurlements de loups, des grattements d'insectes.
La deuxième partie est brutal et sans concession. "A la fois fils de youpin et fils de boche." J'y plonge comme dans un étang glacé, les algues entravent mes jambes, je me débats, je suffoque. Je lis comme en apnée. Jusque tard dans la nuit. J'arrive au bout du voyage avec les yeux brûlants, les paupières râpeuses, la bouche sèche... essoufflée comme si j'avais marché tout le long de la frontière entre l'Allemagne et la France, le cou et les pieds nus.