Germaine Cellier L'audace d'une parfumeuse
Je tenais pour acquis que tout le monde partageait ma passion pour les ciels nuageux.
J'ai eu tout un choc en apprenant que certaines personnes préféraient le soleil.
Glenn Gould
Le secret pour enseigner à Glenn, c'est de le laisser découvrir les choses de lui-même. C'est comme cela que je lui ai fait connaître Bach et Schönberg. Si Glenn pense n'avoir rien appris de moi, il s'agit là du plus beau compliment qu'on puisse me faire.
La troisième tentative fut la bonne. J’ai senti sous mes doigts un petit morceau de bois. À cet instant précis, j’ai senti que j’allais trouver quelque chose. Ma persévérance a eu raison des sceptiques. Un cercueil reposait là, à quelques mètres sous terre avec, à l’intérieur, des ossements.Le Dr. Ebbs, supervisé par le procureur général, a pu examiner le squelette, ou du moins ce qu’il en restait. L’expert nous a certifié que les ossements appartenaient bien à un homme de race blanche d’environ quarante ans. De la même façon que Thomson était insatisfait de l’exécution de sa toile Le vent d’ouest, je suis aussi insatisfait des conclusions du Dr. Ebbs. Depuis que je m’intéresse à cette affaire, les versions changent comme les saisons. Celle à qui Tom a offert une esquisse à l’occasion de son ultime exposition au Mowat Lodge, un mois avant sa mort. Mme Crombie n’a jamais témoigné publiquement parce que personne ne le lui a jamais demandé. Elle est la femme oubliée dans cette histoire.
Partir seul dans les bois, je le fais fréquemment. J’annonce toujours la date prévue de mon retour et je reviens toujours à la date annoncée. Habituellement je suis d’excellente humeur et j’ai plusieurs anecdotes à raconter. Pendant mes excursions, je recherche les endroits qui ont l’ai le plus sauvage possible, et quand je trouve une pointe accidentée ou déserte avec quelques pins rouges noueux à l’aspect rabougri, je camp à proximité pour voir de quoi ils ont l’air pendant un orage et j’étudie le ciel et la couleur, etc. mon esquisse Le vent d’ouest est le résultat d’une de ces expéditions dans le fond des bois à l’intérieur du parc. Je suis parti toute une saison dans le Nord avec un jeune artiste qui s’appelle Broadhead. Je commence juste à peindre. J’ai pris plusieurs photos, elles serviront peut-être de références pour mes futurs tableaux. Nous étions très excités de ramener notre travail à la maison après être restés toute une saison là-haut.
J’aime venir ici quand le temps est clément. Il m’arrive de croiser des animaux sauvages. J’ai eu l’autre fois la visite d’un gros loup gris. Sa tête, son cou, sa poitrine étaient noirs de jais, le reste était gris. Il s’est approché de moi, nous sommes restés face à face, ça m’a paru une éternité puis il est reparti comme une ombre.
- c’est la perfection qui fait son défaut.
Il s’appelle Tom Thomson. Le noyé… c’est Tom Thomson. Un des plus peintres du pays. C’était mon ami, alors un peu de respect. Il avait un talent fou, mais l’art ça vous dépasse. Tom a peint un compte-rendu des températures sur 62 jours de printemps en 62 esquisses malgré la pluie, la neige, le soleil, la nuit, le froid. C’était quelques jours avant sa disparition, il était venu chez moi tout excité me dire qu’il venait de faire quelque chose d’unique en art qu’aucun artiste n’avait jamais tenté. Il avait 40 ans et la gloire devant lui. Noyé ? Bande d’ignorants ! Il n’y avait même pas d’eau dans ses poumons.
Arrêtons d’imiter la nature. Il faut exprimer les émotions qu’elle nous inspire. Regardons en nous-même.
Tom décrit tellement bien les paysages que ce n’est pas difficile de se rappeler des détails de chaque chose que l’on croise tous les jours. L’autre fois, il est passé à la cabane. Il cherchait où trouver trois épinettes noires qui ont l’air rêches et vieilles, des épinettes sur un ciel du nord, froid, gris-vert. Je lui ai répondu : Rends-toi au petit quai en aval de Sims Pt, tu trouveras les arbres que tu veux dans le bosquet. Avec un peu de chance tu les verras sous un ciel froid du nord.
Il neige. Il neige sur Toronto. Sur le lac Ontario. Sur les maisons colorées. Il neige depuis des jours. Une neige, épaisse, lourde. Je peins sur grand forme. J’écris aussi… J’ai découvert que je pouvais utiliser mes esquisses comme modèles pour créer une toile aux dimensions plus grandes. Une révélation. Cela m’oblige à traiter le sujet de manière totalement différente. Après le départ d’Alex, je me suis installé dans la cabane située à l’arrière du Studio Building. Harris m’a beaucoup aidé à l’aménager. Nous avons posé une nouvelle toiture et un plancher neuf. Nous avons aussi doté la cabane d’une fenêtre d’atelier, d’un poêle et de l’électricité pour la modique somme d’un dollar par mois. Le soir vient, lent, par couches successives comme la neige qui continue de tomber. Je repose mes yeux fatigués de toutes ces couleurs que j’étale en épaisses couchers sur mes toiles. J’étale mes souvenirs en noir et blanc. Je ne peins pas mes amis, Je les photographie. Impossible de les peindre comme je peins la nature. Je me languis d’eux, de nos expéditions, de mes arbres, de mon canot, de mes truites… de mon parc Algonquin.