Robert Muchembled, professeur honoraire des universités de Paris, nous présente son nouvel ouvrage, "La séduction. Une passion française", en librairie le 3 février 2023.
Utilisant des productions marquantes oeuvres littéraires, films, bandes dessinées , pour repérer les théories et les pratiques,
Robert Muchembled convie lectrices/lecteurs à une délectable plongée dans le passé, à la découverte des extraordinaires métamorphoses de la séduction amoureuse : une grande passion française constitutive de l'identité nationale, engagée depuis les années 1970 dans une nouvelle mutation décisive sous le souffle des aspirations libératrices de la féminité.
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De la fin du Moyen Age à l'aube des temps industriels, le monde rural Français connait d'importantes fluctuations économiques et démographiques, mises en valeur et discutées par les spécialistes.
Cependant, les mentalités et les comportements n'épousent pas exactement l'évolution d'une telle conjoncture. En réalité, la vision du monde des ruraux semble plutôt être restée remarquablement stable, presque inerte, avant que la révolution agricole et la poussée urbaine n'en modifient définitivement les structures profondes. En effet, même les époques de vitalité démographique et de reprise économique sont dominées par un profond sentiment d'insécurité, par la peur de danger réels et imaginaires omniprésents. La faim , le froid, la misère physiologique, la peur de la mort subite, la présence menaçante d'errants et de déclassés dans la société et sur ses marges, les bêtes sauvages, les loups en particulier, et tant d'autres menaces pèsent sur un monde fragile, techniquement incapable de dominer la nature ou même de comprendre les secrets du fonctionnement du corps humain. Et puis rôdent partout d'incommensurables dangers, qui nous semblent imaginaires mais qui appartiennent pour les paysans du temps à la réalité de la vie: L'angoisse jaillit la nuit, qui bruit de la présence du diable, des démons, des sorciers, des loups-garous; le jour, elle accompagne tout prodige inexplicable, tout monstre qui brise le cours normal des choses, de la comète au veau à cinq pattes en passant par le tremblement de terre ou simplement par la maladie, que l'on considère toujours comme une agression et non comme un fait naturel.
Fondamentalement, l'homme se sent faible et menacé dans un univers qu'il ne domine en rien. Le paysan, plus que son voisin citadin, qui représente moins de 10% de la population, se sait impuissant devant ces dangers. Il n'est pas protégé par une muraille. Il ne peut pas compter sur le savoir de "spécialiste": le curé rural, qui n'est généralement ni bien formé ni très instruit, jusqu'au XVII siècle pour le moins, partage les peurs et les superstitions du monde paysan, au sein du quel il évolue et dont souvent il est issu. Médecins et sages-femmes sont rares dans ces terres inhospitalières. Quant aux agents du roi ils ne résident guère auprès des vilains. Ceux vivent entre eux, repliés sur l'aire de sécurité relative constituée par leur village, et au-delà de ce dernier par la zone d'endogamie donnant son unité à un petit "pays" . .........Dans ce monde saturé d'angoisse et traversé d'innombrables menaces s'agitent des forces obscures. les paysans, qui côtoient sans cesse la mort, et qui croient se heurter aussi aux morts, cherchent quotidiennement à se protéger et à éloigner les peurs par un ensemble complexe de rites et de tabous. Ils sont tous, de ce fait, un peu sorciers, quand ils tentent magiquement de chasser le malheur, d'attirer la richesse ou l'amour, de protéger la vie de leurs proches et de leurs bêtes. La mort surtout, et sous toutes ses formes, est l'objet de rituels de rejet. Mais lorsque que l'homme se trouve désarmé, lorsqu'il est vaincu dans sa lutte contre le surnaturel, il lui faut bien faire appel à des magiciens plus puissants que lui: les sorciers , en d'autres termes les devins et les guérisseurs locaux, qu'il importe donc de replacer dans le contexte villageois normal et quotidien, avant qu'on ne les accuse, aux XVI et XVII siècles , de diabolisme.
... le film de Roger Vadim, "Et Dieu créa la femme", transforme à 22 ans Brigitte Bardot en star mondiale. Cheveux au vent, nue, mais toujours artistiquement voilée par le réalisateur, afin de ne pas laisser apparaître la toison pubienne, l'image féminine projetée dans les salles rompt avec les conventions de la famille de haute bourgeoisie d'affaires de l'actrice, en affichant une sexualité adolescente très libérée, profondément choquante dans ce milieu. Car elle jette aux orties le tabou de la virginité et ne se préoccupe en rien des pressions morales exercées sur son genre. Pour la première fois, elle offre une usine à rêves à toutes les demoiselles de son âge, alors que les grandes artistes émancipées étaient plutôt imitées jusque-là par les dames adultes mariées. Sans doute fréquemment retenues de sauter le pas par peur de la grossesse, les jeunes filles adoptent son style rebelle, sa nonchalance, ses petites robes en vichy, ses expressions et intonations, sa queue-de-cheval conquérante, pour se décomplexer au temps de la rigueur puritaine gaullienne. Elles affichent une séduction féminine plus épanouie, contribuant au fiasco de Chanel, rentrée å Paris en 1954, lorsqu'elle tente de revenir à une silhouette « sans seins, sans taille, sans hanches» qui avait semblé libératrice vingt-cinq ans plus tôt. La tenue féminine bourgeoise a pris un coup de vieux, évoquant désormais un groupe social traditionaliste, attaché au célèbre tailleur diffusé par la couturière. Largement bridé par la résistance paternaliste, jusqu'en 1968, le désir d'indépendance gonfle secrètement, à la maniere des jupons de BB.
La grâce timide étant le charme de la jeunesse, une demoiselle bien élevée doit toujours se comporter avec réserve et délicatesse. Quand elle se hasarde à l'extérieur, avec des jeunes amies, il lui faut parler bas, éviter de se faire remarquer, et ne pas leur sauter au cou. Elle ne peut sortir seule sans compromettre son honneur, son bonheur et son avenir. Si cela lui arrive, ou si elle circule en compagnie d'une bonne, elle ne doit jamais se retourner pour regarder quelqu'un, ni permettre à un homme de lui adresser la parole. Au théâtre , elle ne peut pas braquer sa lorgnette sur un inconnu, ni regarder fixement ou effrontément n'importe où, et tout fou rire lui est interdit. Au bal, elle se contente d'être aimable, avec au plus un petit rire. Si un homme se déclare, elle doit le dire à sa mère, non pas à ses amies, comme le font les sottes vaniteuses. Dans tous les cas, il importe qu'elle se tienne bien droite, gracieusement, et qu'elle conserve un peu de délicieuse gaucherie. Mariée, encore jeune, elle ne peut sortir qu'en compagnie de son père, frère ou mari. Au bal, elle évite alors un décolleté outrageux. A pied, elle ne porte qu'une toilette très effacée. Car une femme n'a vraiment de charme que si elle cherche a passer inaperçue, tant par son apparence que par ses manieres. Le bon goût, et le souci de ne causer aucune gêne à autrui, veulent qu'elle bannisse les parfums, à l'exclusion d'"une une senteur unique et douce", celle de l'iris ou de la violette. Plein de respect et douceur pour les dames, un véritable gentleman, quant à lui, n'en aborde jamais une dans la rue.
Toute séduction est exclue de ce portrait très idéalisé des bourgeoises du temps. Les manuels de savoir-vivre convergent tous sur ce point, afin d'opposer le modéle de la chaste femme mariée a celui de la courtisane corruptrice. En 1878, Ermance Dufaux de La Jonchère le dit sans ambages : "Une femme bien élevée ne porte sur elle aucun parfum. Elle les abandonne à la femme de moeurs faciles, dont ils sont l'apanage exclusif." La comtesse de Gencé parle de "coquetterie désobligeante" si les demoiselles en usent (Code mondain de la jeune fille, 1909), et conseille aux femmes élégantes de le dissimuler à leur entourage (Le Cabinet de toilette d'une honnête femme, 1909). Les dames respectables sont conviées à oublier qu'elles possédent un corps et des sens. Le système bourgeois du savoir-Vivre qui s'impose au XIXème siècle les définit comme extrêmement fragiles, si bien que l'homme galant doit les protéger en permanence et leur éviter d'être blessées ou souillées par les réalités triviales.
Au XVIIIe siècle, l'influence de la capitale sur la civilisation ne cesse de grandir. On pense, bien sûr, en premier lieu aux idées des philosophes qui conduisent à la Révolution. Plus feutrée, la féminisation de la société urbaine joue également un rôle fondamental. Elle va bien au-delà des apparences frivoles, souvent associées (sur un ton sévère) à la galanterie de l'époque. Certes, la longue marche des femmes en vue de leur libération ne fait que commencer. Elle emprunte alors une voie étroite, sévèrement jugée par les moralistes pressés, quí érige la séduction féminine en principe actif de corrosion de la domination masculine. Pouvait-il en aller autrement dans un univers où les pouvoirs et les savoírs établis leur niaient toute possibilité d'indépendance et condamnaíent la plupart d'entre elles à une tutelle maritale infantilisante? Privées d'autonomie, n'ayant pas encore gagné le droit à une éducatíon identique à celle des hommes, même parmi les privilégiées, malgré les efforts des précieuses, elles commencent seulement à contrecarrer le principe de supériorité virile en obligeant les séducteurs impatients à prendre les formes et le temps de les conquérir, si elles le veulent bien. Le siècle enregistre un évident glissement vers le plaisir parmi les élites dominantes. La société de Cour en donne l'exemple. Imitant un roi peu empressé à chevaucher à la tête de ses armées, nombre d'aristocrates recherchent moins que par le passé la gloire des champs de bataille, préférant s'amollir dans les délices de Capoue d'une existence raffinée. A l'époque de la guerre en dentelles, la preuve de virilité migre des victoires militaires aux prouesses amoureuses. A Paris, triomphe un art de vivre trés délicat, dont les créatíons, telle la porcelaine de Sèvres, évoquent souvent ou mettent en valeur la beauté gracieuse du corps féminin. L'univers des gens de qualité est saturé d'un érotisme doux, tout comme les peintures de François Boucher ou de Jean-Honoré Fragonard. La féminisation croissante du monde des nantis et d'une probable fraction des couches moyennes bourgeoises s'appuie également sur des changements de sensibilité collective. Les grands romans, "Manon Lescaut" , de l'abbé Prévost en 1731, "La Nouvelle Héloïse" , de Jean-Jacques Rousseau en 1761, "Paul et Virginie" , de Jacques-Henri Bernardin de Saint-Pierre en 1788, se mettent à exalter la passion pour elle-même, y compris si elle se révèle fatale ou peu vertueuse.
Sur une échelle émotive, c'est aux États-Unis que se conserve le mieux une intense peur du Mauvais fourchu, capable d'envahir tout corps pécheur pour le dénaturer [...] À l'autre extrême, la France fait figure d'univers précocement vacciné contre les menées sataniques, à la suite des Lumières et d'un romantisme qui a contribué à brouiller l'image de l'Ange déchu, en lui donnant la sauvage beauté d'un champion de la liberté.
Dans une telle hypothèse, la relation existant entre l'homicide et le suicide serait inversement proportionnelle, la quasi-disparition du premier ayant pour prix une forte augmentation du second à l'heure du bilan, lors de l'entrée dans la maturité ou dans la vieillesse. La mort de soi pourrait ainsi révéler le rejet, décalé dans le temps, longtemps après la puberté, de la puissance symbolique de l'interdit du meurtre de l'autre, devenu incontournable dans notre civilisation. En France, le taux de suicide atteint 8,9 pour 100 000 au milieu du XIXe siècle. Il bondit à son maximum absolu de 20,8 entre 1896 et 1905, à un moment où le nombre des crimes contre les personnes n'a jamais été aussi bas.
La meilleure police d Europe comme on la definit alors esr aussi la plus corromue
Le diable serait-il en train d'abandonner l'Occident à la fin du deuxième millénaire de l'ère chrétienne ?
"Ce siècle peut passer pour celui de la disparition, au moins pour celui de l'éclipse ou de la métamorphose de l'Enfer" affirmait déjà Roger Caillois en 1974.
Satan paraissait alors être rangé au rayon des accessoires de Théâtre pour la majorité des européens, y compris pour beaucoup de catholiques croyants et pratiquants qui préféraient le christianisme modernisé, ouvert sur le monde et plus confiant de Vatican II, aux fulgurances tragiques du concile de Trente ...
Ainsi la robe des juges prend-elle un surcroît de prestige au temps des supplices et des procès de sorcellerie. Non pas à cause d'une véritable mutation vestimentaire , l'habit rouge des magistrats supérieurs étant depuis longtemps le même que celui du monarque et le Parlement constituant , selon La Roche Flavin, "un vrai portrait de sa Majesté" . Mais plutôt parce que la puissance absolue des Princes irrigue de plus en plus l'Etat de justice des temps modernes , donnant aux juges la fierté croissante d'exercer une fonction directement liée à la souveraineté sacrée.
L'image surhumaine de Satan est avant tout une propagande, produite par des savants, propagée par des créatueurs, des écrivains, des ecclésiastiques dans leurs sermons ou leurs contacts avec les fidèles.