Pourquoi lire Robert Louis Stevenson ?
Il existe un certain malentendu entre l'œuvre de Robert Louis Stevenson et sa réception. Souvent amalgamée à de la littérature populaire pour enfants et adolescents en manque d'aventure, son œuvre recèle pourtant, pour qui les cherchent, des trésors d'observations sur l'âme humaine.
On peut lire son œuvre pour s'échapper bien sûr, comme les adolescents du monde entier ont lu
L’île au trésor comme pour chercher eux-mêmes des butins enfouis dans quelques mers infestées de pirates. La vie même de Stevenson est marquée du sceau de l'aventure. Avant qu'il ne prenne la mer et ne quitte son Ecosse natale à l'adolescence, Robert Louis Stevenson sortait pourtant peu de chez lui. Enfant à la santé fragile mais à l'imagination féconde, il passe son enfance dans le climat humide d'Edimbourg. Atteint de tuberculose, il ne va qu'épisodiquement à l'école où il n'a que rarement l'occasion de se faire des amis et se réfugie très tôt dans l'écriture intensive de poèmes et de nouvelles. Autre source d'évasion qui influença, peut-être, ses récits futurs, il accompagne son père, un ingénieur chargé de la conception de phares, lors de ses déplacements professionnels sur les côtes écossaises.
Adolescent, il découvre avec émerveillement le sud de la France à l'occasion d'un séjour censé améliorer son état de santé précaire. S'il continue d'étudier le droit en Ecosse, il visite aussi bien les bars parisiens en compagnie de Fanny Osbourne, une femme déjà mariée et mère de trois enfants mais dont il tombe éperdument amoureux, que les régions les plus reculées de France. Quand Fanny se rend aux Etats-Unis pour divorcer de son mari, c'est un Robert L. Stevenson meurtri qui part, en 1878, faire une randonnée dans les Cévennes avec une ânesse pour seule compagnie. Sa traversée donnera naissance à une nouvelle,
Voyage avec un âne dans les Cévennes, ainsi qu'à un chemin de Grande Randonnée qui porte aujourd'hui son nom et que des randonneurs du monde entier empruntent encore au XXIe siècle.
Ses rêves d'ailleurs et d'aventures absolues sont au cœur de ses écrits et font de lui le maître incontestable du genre. En 1883, il publie son premier chef-d'œuvre
L’île au trésor après avoir dessiné la carte imaginaire d'une île avec son beau-fils lors d'une pluvieuse journée en Ecosse. de même,
Enlevé !, grand succès éditorial de l'année 1886, raconte les mésaventures d'un jeune homme en haute mer puis dans des Highlands du XVIIIe siècle. Chez Stevenson pourtant, l'aventure n'est jamais gratuite. Dans ce récit situé un siècle plus tôt, Stevenson s'attache à retranscrire le plus fidèlement possible un fait divers sanglant et relativement obscur tout en reconstituant avec précisions les Highlands de l'époque.
Au-delà de ces récits qui retiennent immédiatement l'attention du public, Stevenson ne cesse, toute sa vie durant, d'écrire de nombreux essais et articles sur la littérature et la structure du roman, analyses passionnantes que l'on peut aujourd'hui retrouver dans le recueil Essais sur l'art de la fiction. Ces textes impressionnèrent de grands écrivains tels que
Henry James et
Jorge Luis Borges qui tous deux s'inspirèrent de ses travaux pour proposer les leurs.
Son combat contre sa maladie et contre lui-même ne le quitte pas et c'est alité qu'il écrit une énième version du manuscrit de
L'étrange cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde après en avoir brûlé une première mouture. Ce court roman, inclassable, entre roman gothique et fable religieuse, est publié en 1886. C'est un triomphe immédiat au Royaume-Uni comme aux Etats-Unis et classe irrémédiablement l'auteur parmi les plus grands écrivains de langue anglaise. Ce roman, devenue une référence mondiale sur le thème du combat entre le bien et le mal montre également la profonde diversité de ses textes et de la structure de ses romans.
Hélas, le succès même mondial ne peut rien contre sa maladie et c'est un Stevenson toujours plus fatigué qui prend la mer pour rejoindre l'océan Pacifique dans l'espoir que le climat tropical améliore ses problèmes respiratoires. Il s'installe à Upolu, une île Samoa où il s'éteint en 1890, à l'âge de 44 ans. Ses quatre années passées sur l'île auront fait de lui un héros auprès d'un peuple qu'il a soutenu de tout son poids contre l'impérialisme allemand qui revendiquait les terres. Sur l'île d'Upolu, Stevenson continue inlassablement d'écrire des romans comme
Catriona, la suite de son roman à succès
Enlevé !, et des nouvelles telles que le Trafiquant d'épaves malgré ses doutes de plus en plus fréquents sur sa créativité. Il fut si proche des Samoan que ces derniers lui donnèrent le surnom de Tusitala, "le conteur d'histoire", et, pour ses obsèques, portèrent son cercueil au sommet du mont Vaea où Stevenson, face à la mer, repose encore.
Le saviez-vous ?
• Suite à la recrudescence de randonneurs voulant marcher sur les traces de Robert Louis Stevenson, un chemin de Grande Randonnée reprenant plus ou moins le trajet effectué par l'auteur et relaté dans
Voyage avec un âne dans les Cévennes, a vu le jour en 1993 . Il s'agit du GR 70, plus communément appelé "Le Chemin Stevenson".
• Il serait pour certains l'inventeur du sac de couchage en ayant fait coudre, pour son voyage dans les Cévennes de 1878, des peaux de moutons retournées afin de pouvoir dormir dedans. C'est à cette période, qui voit arriver l'émergence des randonnées, qu'apparaissent les premiers modèles.
• Le roman
Les Mines du roi Salomon de Sir
Henry Rider Haggard est le résultat d'un pari entre ce dernier et son frère. Celui-ci le défia en effet d'écrire un roman qui aurait ne serait-ce que la moitié des qualités littéraires de
L’île au trésor de Stevenson. le roman étant devenu un classique en créant dès sa sortie un genre littéraire à part entière, on peut supposer que Sir Henry Rider Haggard remporta le pari.
• Apitoyé par le chagrin d'une petite fille de 12 ans dont l'anniversaire coïncidait avec Noël, Stevenson rédigea une lettre dans laquelle il déclara "transférer" sa propre date d'anniversaire à la petite fille.
• Comme tout Ecossais qui se respecte, Stevenson était un grand amateur de Whisky. Ses préférés ? Le Talisker, "roi des breuvages".
Chronologie
13 novembre 1850 : Naissance de Robert Lewis Balfour Stevenson, à Édimbourg. Il changera à 18 ans son deuxième prénom “Lewis” en “Louis” sans en changer la prononciation.
1873 : Il publie, avec un certain succès critique, ses premiers essais.
1875 : S'il passe avec succès les examens du barreau, il abandonne la même année le métier d'avocat après les échecs de ses premières plaidoiries.
1876 : Rencontre avec Fanny Osbourne dont il tombe amoureux.
1879 : Publication de
Voyage avec un âne dans les Cévennes.
1879-1880 : se rend aux Etats-Unis pour retrouver Fanny qui ne sait choisir entre son mari et Stevenson. Celui-ci tombe gravement malade.
1880 : Mariage avec Fanny Osbourne.
1883 : Publication de
L’île au trésor.
1886 : Publication de ses romans
L'étrange cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde et de
Enlevé !1890 : Embarque dans un cargo pour rejoindre l'Océan Pacifique et s'installe sur l'île d'Upolu des Samoa.
3 décembre 1894 : Il meurt d'une crise d'apoplexie.
Inspirateurs et héritiers
Dans un essai intitulé "Des livres qui m'ont influencé",
Robert Louis Stevenson insiste sur le rôle de la pure fiction et des romans dans son éducation littéraire et cite
Shakespeare comme son influence première. Il fait de d'Artagnan son "plus cher et meilleur ami" en dehors de Shakespeare et en particulier le d'Artagnan plus âgé du troisième volet de la trilogie d'
Alexandre Dumas le vicomte de Bragelonne. Enfin,
Stevenson cite le voyage du pèlerin, le roman allégorique de
John Bunyan. Les voyages "signifiants", initiatiques, les feuilletons à suspens, les profondes analyses de l'âme humaine : on retrouve, dans ses lectures, une partie des grandes aspirations littéraires de Stevenson.
Les différents aspects de l'œuvre de Robert Louis Stevenson ont eu une influence considérable sur le monde des lettres et la culture populaire du 20ème siècle. Ses essais sur l'art de la fiction ont influencé les plus grands théoriciens du livre et de l'art romanesque comme
Jorge Luis Borges. Ses romans d'aventure ont bouleversé les codes existants au XIXème siècle en proposant des aventures débarrassées de codes moraux ou religieux. Seules comptent, pour Stevenson, l'intrigue et l'écriture.
L’île au trésor a inspiré à son tour de nombreux récits d'aventure également populaires tels que
Les Mines du roi Salomon ou
Moonfleet de
John Meade Falkner. Les caractéristiques de Long John Silver - jambe de bois, perroquet sur l'épaule, roublard mais courageux - ont profondément influencé la représentation des pirates dans l'imaginaire collectif. On ne compte d'ailleurs plus les romans, bandes dessinées ou films qui mettent en scène le personnage ou un ersatz de celui-ci.
Ses récits de voyage, que l'on peut associer au genre du Nature writing inspirèrent des écrivains comme
John Steinbeck qui, à l'image de Stevenson, raconta le périple qu'il effectua avec son chien à travers les Etats-Unis dans
Voyage avec Charley.
Enfin,
L'étrange cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde a eu un impact considérable sur la culture populaire et la représentation de thèmes aussi différents que le combat entre le bien et le mal ou le dédoublement de personnalités.
Dans
A la recherche du temps perdu,
Marcel Proust met ces mots dans la bouche de Swann : « Mais c'est tout à fait un grand écrivain,
Stevenson, je vous assure, monsieur de Goncourt, un très grand, l'égal des plus grands. »
Italo Calvino à propos de
L’île au trésor: « Dans toutes ces pages l'art de la narration atteint, avec les moyens les plus simples, une des plus hautes cimes de la littérature mondiale. »
Vladimir Nabokov, à propos de ses essais sur la littérature : « Les remarques les plus intelligentes jamais écrites sur la littérature. »
Jorge Luis Borges: « Stevenson a donné plus de bonheur aux lecteurs que tout autre écrivain. »
Arthur Conan Doyle à propos d'une nouvelle de Stevenson : «
Le pavillon dans les dunes donne la plus haute marque de son génie et devrait suffire en lui-même, sans une autre ligne, à valoir à son auteur une place permanente parmi les grands conteurs.»
William James : «Je crois qu'on n'a jamais rien écrit de plus beau — et de plus profond.»
Marcel Schwob s'adressant à
Stevenson lui-même : « Les personnages que vous créez sont tellement semblables à la vie, ils se meuvent si aisément et parlent si naturellement qu'il me semble avoir vécu quelques heures avec John Silver et Alan Breck et que je ne puis faire autrement que de vous aimer pour cela.»
Hugo Pratt à propos de
L’île au trésor: « Je revois parfaitement, comme si c'était hier, mon père sortant un petit livre noir d'une grande poche de sa vieille saharienne comme par enchantement ; il me le donna et me dit avec un sourire mélancolique : " Toi aussi, un jour, tu iras chercher ton île... Ne t'en fais pas si tu ne la trouves pas tout de suite ; il y en a beaucoup, tu la rencontreras le moment ven