Jacques Jouet &
Laurence Kiefé -traduire
Harry Mathews - "
Les derniers seront les premiers" - à l'occasion de la parution de "
Les derniers seront les premiers", d'
Harry Mathews aux éditions P.O.L traduit de l'anglais (Etats-Unis) par
Laurence Kiefé et
Jacques Jouet , à Paris le 6 février 2024 et où il est question, notamment, de
Harry Mathews, de traduction à deux, de contraintes et de haïkus, de
Georges Perec et de l'
Oulipo, de
Raymond Roussel et de
Raymond Queneau.
"On peut dire de la plupart des
poèmes rassemblés ici qu'ils ont des origines biographiques, imaginaires ou d'ordre procédural.
Une fois établies ces catégories simples, il est indispensable de ne pas tarder à les bousculer voire à les détruire. En fait, presque tous ces
poèmes entrent dans plus d'une catégorie et parfois dans les trois."
Harry Mathews
-"Collected Poems 1946-2016", de
Harry Mathews est publié en anglais chez Sand Paper press
-"The Solitary Twin", de
Harry Mathews est publié en anglais chez New directions
-"Case of the Persevering Maltese", de
Harry Mathews est publié en anglais chez Dalkey Archive press
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- Moi, déclara Zazie, je veux aller à l'école jusqu'à soixante-cinq ans. (...) Je veux être institutrice.
- Pourquoi que tu veux l'être, institutrice?
- Pour faire chier les mômes (...). Je serai vache comme tout avec eux. Je leur ferai lécher le parquet. Je leur ferai manger l'éponge du tableau noir. Je leur enfoncerai des compas dans le derrière. Je leur botterai les fesses.
- Tu sais, dit Gabriel avec calme, d'après ce que disent les journaux, c'est pas du tout dans ce sens là que s'oriente l'éducation moderne. C'est même tout le contraire. On va vers la douceur, la compréhension et la gentillesse. (...) D'ailleurs, dans vingt ans, y aura plus d'institutrices : elles seront remplacées par le cinéma, la tévé, l'électronique, des trucs comme ça.
- Alors, déclara-t-elle, je serai astronaute pour aller faire chier les Martiens.
- Ça m'arrive souvent de ne penser à rien. C'est déjà mieux que de ne pas penser du tout.
La vie? " Un rien l'amène, un rien l'anime, un rien la mine, un rien l'emmène "
Un poème
Bien placés, bien choisis,
Quelques mots font une poésie
Les mots, il suffit qu'on les aime
Pour écrire un poème.
On sait pas toujours ce qu'on dit
Lorsque naît la poésie
Faut ensuite rechercher le thème
Pour intituler le poème
Mais d'autres fois, on pleure, on rit
En écrivant la poésie
Ça a toujours kèkchose d'extrême
Un poème
[...] ... - Pour faire chier les mômes," répondit Zazie. "Ceux qu'auront mon âge, dans dix ans, dans vingt ans, dans cinquante ans, dans cent ans, dans mille ans, toujours des gosses à emmerder.
- Eh bien," dit Gabriel.
- "Je serai vache comme tout avec elles. Je leur ferai lécher le parquet. Je leur ferai manger l'éponge du tableau noir. Je leur enfoncerai des compas dans le derrière. Je leur botterai les fesses. Parce que je porterai des bottes. En hiver. Hautes comme ça (geste). Avec de grands éperons pour leur larder la chair du derche.
- Tu sais," dit Gabriel avec calme, "d'après ce que disent les journaux, c'est pas du tout dans ce sens-là que s'oriente l'éducation moderne. C'est même tout le contraire. On va vers la douceur, la compréhension, la gentillesse. N'est-ce pas, Marceline, qu'on dit ça dans le journal ?
- Oui", répondit doucement Marceline. "Mais toi, Zazie, est-ce qu'on t'a brutalisée, à l'école ?
- Il aurait pas fallu voir.
- D'ailleurs," dit Gabriel, "dans vingt ans, y aura plus d'institutrices : elles seront remplacées par le cinéma, la tévé, l'électronique, des trucs comme ça. C'était aussi écrit dans le journal l'autre jour. N'est-ce pas, Marceline ?
- Oui," répondit doucement Marceline.
Zazie envisagea cet avenir un instant.
- "Alors," déclara-t-elle, "je serai astronaute.
- Voilà," dit Gabriel approbativement. "Voilà, faut être de son temps.
- Oui," continua Zazie, "je serai astronaute pour aller faire chier les Martiens. ... [...]
Debout, Gabriel médita puis prononça ces mots:
- L'être ou le néant, voilà le problème. Monter, descendre, aller, venir, tant fait l'homme qu'à la fin il disparaît. Un taxi l'emmène, un métro l'emporte, la tour n'y prend garde, ni le Panthéon. Paris n'est qu'un songe, Gabriel n'est qu'un rêve (charmant), Zazie le songe d'un rêve (ou d'un cauchemar) et toute cette histoire le songe d'un songe, le rêve d'un rêve, à peine plus qu'un délire tapé à la machine par un romancier idiot (oh! Pardon). Là-bas, plus loin – un peu plus loin – que la place de la République, les tombes s'entassent de Parisiens qui furent, qui montèrent, qui descendirent des escaliers, allèrent et vinrent dans les rues et tant firent qu'à la fin ils disparurent. Un forceps les amena, un corbillard les remporte et la tour se rouille et le Panthéon se fendille plus vite que les os des morts trop présents ne dissolvent dans l'humus de la ville tout imprégnée de soucis.
Ballade en proverbes du vieux temps
Il faut de tout pour faire un monde
Il faut des vieillards tremblotants
Il faut des milliards de secondes
Il faut chaque chose en son temps
En mars il y a le printemps
Il est un mois où l'on moissonne
Il est un jour au bout de l'an
L'hiver arrive après l'automne
La pierre qui roule est sans mousse
Béliers tondus gèlent au vent
Entre les pavés l'herbe pousse
Que voilà de désagréments
Chaque arbre vêt son linceul blanc
Le soleil se traîne tout jaune
C'est la neige après le beau temps
L'hiver arrive après l'automne
Quand on est vieux on n'est plus jeune
On finit par perdre ses dents
Après avoir mangé on jeûne
Personne n'est jamais content
On regrette ses jouets d'enfant
On râle après le téléphone
On pleure comme un caïman
L'hiver arrive après l'automne
ENVOI
Prince ! tout ça c'est le chiendent
C'est encore pis si tu raisonnes
La mort t'a toujours au tournant
L'hiver arrive après l'automne
Je suis inculte parce que je n'en pratique aucun, et insecte parce que je me méfie de toutes.
Les mots il suffit qu’on les aime pour écrire un poème.
LE NEZ FIN
Prends un brin d’herbe et froisse-le
entre la pulpe de tes doigts
et tu sentiras parfois une odeur amère
et parfois celle du printemps
c’est peut-être de l’anis c’est peut-être de la menthe
c’est peut-être la plante
qui fait rêver à tous les parfums de l’Arabie
à la cannelle au gingembre à l’ilang-ilang
au poil de l’âne qui fait hihan hihan
à la roche rôtie à la pierre panée
à la route rouillée à la boue piétinée
à l’eau
à rien