Robert Bober Il y a quand même dans la rue des gens qui passent - éditions P.O.L où Robert Bober tente de dire comment et de quoi est composé son nouveau livre "Il y a quand même dans la rue des gens qui passent", et où il est notamment question de son précédent livre "Par instants la vie n'est pas sûre" et la poursuite de sa conversation avec Pierre Dumayet, d'identité indéterminée et d'identités, d'innocence et de bonté, d' enfance et de rencontres, du yiddish et de Georges Perec, de Seth et de Julien Malland, de Martin Buber et de Gaston Bachelard, de Cholem Aleikhem et du film "Tevye le laitier" de Maurice Schwartz, de Zozo et de la rafle du Vel d'hiv, d'images et livres, de Robert Doisneau et de la photographie, de Pierre Reverdy et de la librairie du Désordre à la Butte aux Cailles, à l'occasion de la parution de "Il y a quand même dans la rue des gens qui passent" en octobre 2023 aux éditions P.O.L, à Paris, le 10 janvier 2024
" Alors, toujours aussi gros ?
Et toi, toujours aussi con ?
C'est comme ça que j'ai compris qu'ils étaient copains. le gros, derrière son comptoir, c'était le patron du bistrot-guinguette « Chez Victor » situé derrière la place des Fêtes au fond de l'impasse Compans. le con était accoudé au zinc en attendant d'être servi.
Plus tard, bien plus tard, je suis retourné voir le bistrot « Chez Victor », je ne l'ai pas retrouvé. Tout le quartier avait été détruit."
+ Lire la suite
CARREFOUR
S’arrêter devant le soleil
Après la chute ou le réveil
Quitter la cuirasse du temps
Se reposer sur un nuage blanc
Et boire au cristal transparent
De l’air
De la lumière
Un rayon sur le bord du verre
Ma main déçue n’attrape rien
Enfin tout seul j’aurai vécu
Jusqu’au dernier matin
Sans qu’un mot m’indiquât quel fut le bon chemin
Il ne faut pas oublier que religieux n'est pas plus synonyme de saint que soldat ne l'est de héros.
PÂLE SAISON
C’est bien l’automne qui revient
Va-t-on chanter
Mais plus personne
que moi
n’y tient
Je serai le dernier
Mais elle n’est pas si triste
qu’on l’avait dit
cette pâle saison
Un peu plus de mélancolie
Pour vous donner raison
La fumée interroge
Sera-ce lui ou toi
qui en ferez l’éloge
avant les premiers froids
Et moi j’attends
La dernière lumière
qui monte dans la nuit
Mais la terre descend
Et tout n’est pas fini
Une aile la supporte
Pendant tout ce temps
Avec toi j’irai a la fin du compte
Refermer la porte
S’il fait trop de vent
Au bord du toit
Un nuage danse
Trois gouttes pendent à
la gouttière
trois étoiles
Des diamants
Et vos yeux brillants qui regardent
Le soleil derrière la vitre
Midi
( " Les ardoises du toit")
Dans l’activité créatrice, le souci obsédant de la postérité est sans doute une naïveté puérile. Le public de demain, en effet, je ne trouve aucune raison valable pour qu’il me soit plus cher que celui d’aujourd’hui.
Pourtant, le goût de l’immortalité, cette sublime illusion des grandes âmes, qui semble avoir à peu près complètement disparu du monde des arts, a toujours été le plus puissant ressort de la création artistique. Aujourd’hui, l’ambition de survivre, fût-ce qu’un jour ou deux, ne paraît même plus permise.
Le lecteur de plus tard n’est fort probablement rien d’autre, c’est entendu, qu’une illusion. Il n’existe pas. Il n’existera peut-être jamais. Son aspect se dérobe en tout cas aux efforts de notre imagination amoureuse de construction précis. Mais, si Stendhal se méprenait en prophétisant que seuls les lecteurs de 1940 le comprendraient, il ne se trompait, néanmoins, pas à son désavantage. Revenu pour un instant parmi nous, il ne trouverait certainement aucun point de contact avec le plus frénétique de ses admirateurs. En somme, il a écrit comme pour les habitants d’une autre planète. Libre à vous de ne pas préférer cet abîme, qui le sépare même de ceux qui se sont emparés avec tant d’ardeur, de ses dépouilles, à la promiscuité que recherchent les auteurs habiles à si vite établir un niveau étale entre leurs dons personnels et les exigences multiples d’une foule redoutable sitôt que sa promiscuité ne nous permet plus d’ignorer son odeur.
D’abord atteindre cet écart, cette immense marge entre le créateur et le lecteur, cet espace salubre et net entre le public et la sensibilité d’une supérieure vigueur mais exagérément douloureuse du poète – ce rempart, enfin, en quoi Baudelaire voyait le plus grand avantage de la gloire. Ce que l’on comprend mieux si l’on admet qu’il ne puisse jamais s’agir, et quelle que soit la forme d’expression que d’un authentique poète – quand l’outil ne sert plus de rien – quand la plume n’est plus outil, mais le prolongement des nerfs au service du cœur de et de l’esprit.
Il est trop évident que l’artiste n’a pas à donner, à son époque, ce qu’il lui emprunte. S’il est grand, il comprend que sa véritable mission consiste à transmettre au futur ce que lui aura permis de réaliser et ce que lui demande de perpétuer le présent.
(pp. 80-82)
Quand l'or du rêve éveille le dormeur
Quand la vie du départ coule au sursaut des veines
Quand le sens des regards a manqué tout le jour
Si le coeur est trop loin des mots qui se comprennent
Comment pour revenir prendre un nouveau détour
Parler
dans le froid blanc où s'arrêtent les ailes
(" Sources du vent")
Il faut prendre très tôt de bonnes habitudes, surtout celle de savoir changer souvent et facilement d'habitudes.
Extrait de En vrac
Une préface c'est comme un paillasson où l'on doit essuyer ses pieds avant d'entrer. Je ne m'adresse pas au lecteur qui, étant fort rare, a droit à tous les égards, mais au poète quand il appuie imprudemment le pied sur le premier barreau de cette échelle qui, dressée vers le ciel, ne mène nulle part.
(p. 179)
Tout le monde sait, tout le monde comprend qu’un poète ne pense pas de la même façon qu’un philosophe, un mathématicien, un savant. C’est-à-dire que, pour lui, les choses ont, dans le réel, une autre valeur et que sa sensibilité et son esprit réagissent, à leur contact, de façon tout à fait différente. Il y a autant de façons d’être au monde que de catégories de sensibilités et de tournures d’esprit.
La fonction poétique, 1950
Le poète est poussé à créer par le besoin constant et obsédant de sonder le mystère de son être intérieur, de connaître son pouvoir et sa force.
Il n’est que les gens de métier qui se satisfassent de quelque certitude sur leurs facultés.
Mais en poésie les gens de métier sont les médiocres.