Marathon de New York : témoignage de Pascal Silvestre.
— C’est la dernière ligne droite. On est sur les bases de 2h59. Si tu restes avec moi, tu passes sous les 3h.
Matthieu donnait ce qu’il pouvait pour récupérer des bouts de forces dans tous les coins de son corps. Il se concentrait comme il pouvait sur la foulée du meneur, voyait bien qu’il ne pouvait plus courir à 14km/h, même cinq minutes de plus.
Le trou se fit. Cinq mètres puis dix mètres. Son père murmurait désormais à ses côtés. Il disait régulièrement, plusieurs fois par minute, en rafale : "Allez Matt, allez Matt, allez Matt." Jamais Matthieu n’avait entendu son père l’appeler Matt. Il disait toujours Matthieu. Ses copains l’appelaient Matt. Sa mère aussi autrefois. Son père, jamais. Au 41ème kilomètre, il regarda sa montre. Il voulait savoir où il en était. Deux fois il regarda les chiffres. Chercha à calculer. Combien de temps pour faire 1 195 mètres ? Fais chier ces 195 mètres à la con, pensa-t-il.
Le quatrième meneur arriva à sa hauteur. C’était le dernier. Il le savait. Il avait mal aux jambes désormais à ne plus trop savoir comment poser les pieds par terre. Tous ces chocs, mon dieu, pensait-il. Mon pauvre squelette ! Une dernière fois, il tenta de prier mais même ça il n’y arrivait plus. Il regarda devant lui : il lui restait à avaler une ligne droite avant la porte Dauphine. L’arrivée serait là, un peu plus loin. Son père lui fit un petit signe pour lui dire qu’il devait s’arrêter, qu’il n’avait pas le droit d’aller plus loin. Plusieurs fois, de plus en plus fort, il lui cria. « Allez Matt, allez Matt, allez Matt.
Lors des derniers kilomètres, le marathonien communique à son insu une humanité exaltée, humanité débarrassée, comme nettoyée, de toutes les conventions, de toutes les politesses. D'une certaine manière, il se bat pour sa vie. Il ne pense qu'à une chose: finir, en finir. Et le plus vite possible, si possible..
En marchant, j'ai repensé à ce que nous nous étions dit, vous savez le rêve derrière le rêve. Vous avez raison, le rêve d'aller au bout des 42 kilomètres n'est que la partie visible de l'iceberg. Nous prenons tous le départ d'un marathon pour réaliser des rêves beaucoup plus précieux et sans doute beaucoup plus profondément enfouis en nous que la seule ambition de repousser nos limites physiques.
- Connaissez-vous cette phrase que l'on attribue à Zatopeck ? "Si tu veux courir, cours un kilomètre. Si tu veux changer ta vie, cours un marathon." Un drôle de raccourci ! Comme s'il fallait absolument pousser l'effort jusqu'au bout de ses possibilités pour découvrir le vrai sens de l'existence. La vie, c'est tout de même autre chose que des grimaces et de la violence...
- Votre rêve derrière le rêve ?
- Je ne sais pas. Peut-être simplement le rêve de conserver mes rêves intacts, ne pas capituler, ne pas perdre espoir. Courir un marathon est un acte de résilience, de combat. On se bat contre la distance mais aussi et surtout contre soi-même, contre l'idée que l'on se fait de ses propres limites, contre la tentation du cynisme. Je crois qu'il y a quelque chose de magnifiquement optimiste dans le fait de courir un marathon. Je l'ai senti de manière très forte en courant New York : Il ne faut pas capituler ses rêves, il faut les vivre jusqu'au bout.
Les marathoniens ne sont pas des monstres de courage, encore moins des héros, ils pleurent souvent et ne se cachent pas toujours pour pleurer, les larmes font partie de l'aventure.
Chaque concurrent d'un marathon prend le départ avec des comptes à régler, avec l'espoir de cicatriser de vieilles plaies, avec un besoin immense de vivre un voyage intérieur.
Vincent tournait les chiffres du cadran de téléphone fixé au mur en essuyant de sa manche les larmes et la morve qui lui coulait de ses yeux et de ses narines. Les chagrins d’enfants sont sans paroles. Pour le consoler, sa mère lui disait la vie à l'épicerie, la fatigue du soir, la neige mouillée qui colle aux semelles des après-skis, le clafoutis aux pommes du week-end qu'elle ne laisserait pas brûler. Les mots n'avaient pas de sens. Seule la voix dans son oreille comptait.
-Pourquoi sommes nous parfois si vulnérables lorsque nous courons?
-C'est-à-dire?
-Tu sais bien: on court et puis soudain ou plutôt au fur et à mesure que l'on court...
-le coeur s'ouvre?
-Oui, enfin, le corps d'abord, il me semble que c'est le corps qui crée les conditions...
Courir un marathon est un acte d'amour. Nous avons cette chance de pouvoir entreprendre et mener à bien un projet aussi fou que de courir plus de 42 kilomètres, de le faire avec méthode et discipline mais avec amour toujours.